Cibler une porte d’entrée de la douleur pour soulager des patients atteints de douleurs chroniques

Une nouvelle approche de traitement contre la douleur cible une molécule qui transporte les messages de douleur dans le noyau des cellules nerveuses

Environ un quart de la population mondiale souffre de douleur chronique au moins une fois dans sa vie. Contrairement aux douleurs aigües – par exemple, celle d’un coup de marteau sur vos doigts – les douleurs chroniques n’ont pas toujours de cause claire et peuvent durer des années voire toute une vie. Le poids des douleurs chroniques peut entraîner des dommages mentaux et physiques, une baisse de la productivité et une addiction aux médicaments. Une nouvelle étude menée par les scientifiques de l’Institut Weizmann des Sciences propose une approche originale du traitement de ces affections en ciblant l’un des passages clef menant à l’activation de gènes dans les cellules nerveuses périphériques qui jouent un rôle dans de nombreux cas de douleurs chroniques. Les découvertes de cette étude sont publiées aujourd’hui dans Science.

Toute douleur commence dans les neurones sensoriels – ceux qui transmettent les informations de la peau jusqu’au système nerveux central. Des neurones endommagés, des lésions chroniques ou certaines maladies peuvent « court-circuiter » les neurones et les faire transmettre en permanence des messages de douleur. Le professeur Mike Fainzilber du département des sciences biomoléculaires de l’Institut étudie les molécules qui régulent les activités de transmission biomoléculaire entre ces cellules nerveuses. Ces molécules – les importines – se trouvent dans toutes les cellules et agissent comme des tuyaux entre le noyau des cellules et leur cytoplasme, transportant des molécules vers et hors du noyau et contrôlant ainsi l’accès aux gènes. Ce rôle revêt une importance particulière chez les cellules nerveuses périphériques avec leurs corps long et fin dans lequel les messages moléculaires peuvent prendre des heures pour parcourir le chemin entre leurs terminaisons nerveuses et le cœur des cellules. Certaines des importines que le professeur Fainzilber et son équipe ont identifiées transmettaient les informations sur une blessure du corps aux cellules nerveuses, initiant ainsi les mécanismes de réparation.


Image de microscopie confocale d’un neurone sensoriel périphérique en culture. Des marqueurs teintés et des anticorps sont utilisés pour identifier les neurones (en rouge), les protéines c-Fos (en vert) et les noyaux (en bleu). On remarque que les protéines c-Fos sont situées dans les noyaux

Afin de savoir si les importines (protéines qui importent des molécules vers le noyau) sont impliquées dans les douleurs neuropathiques chroniques, les chercheurs, dirigés par le docteur Letizia Marvaldi de l’équipe du professeur Fainzilber, ont commencé par étudier un certain nombre de lignées d’importines mutantes chez des souris produites dans le laboratoire du professeur docteur Michael Balder du Centre Max-Delbruck à Berlin, qui a participé aux recherches. Cette étude a été financée par le Conseil européen pour la recherche.

Les études comportementales de ces différentes lignées ont mis en avant une importine particulière – l’importine alpha-3 – la seule impliquée dans le contrôle des voies de transmission de la douleur. L’équipe a ensuite cherché à identifier le mode d’expression du gène associé à la douleur prolongée dans les cellules nerveuses périphériques et a observé son lien avec l’activité de l’importine alpha-3. Après des analyses sur les différences de mode d’expression entre des neurones normaux et des neurones sans importine alpha-3, le docteur Marvaldi s’est concentré sur c-Fos, une protéine que l’importine alpha-3 apporte dans le noyau des cellules. c-Fos est un facteur de transcription – une molécule qui fait augmenter ou diminuer l’expression de nombreux gènes. D’autres expériences sur les souris ont montré que c-Fos s’accumule dans le noyau des cellules nerveuses périphériques de souris souffrant de douleurs chroniques.

L’équipe a ensuite utilisé des virus spécialisés comme outils pour réduire ou désactiver l’importine alpha-3 ou c-Fos dans les cellules nerveuses périphériques de souris. Ces souris répondaient beaucoup moins aux situations de douleurs chroniques que les souris témoins. De plus amples recherches ont montré que l’importine alpha-3 est indispensable aux douleurs chroniques ou prolongées. c-Fos est également impliquée dans les premières réponses à la douleur, mais dans ces cas-là, elle semble entrer dans le noyau par d’autres moyens. Cela suggère que bloquer l’activité de l’importine alpha-3 pourrait être la solution pour empêcher les douleurs chroniques de longue durée.

L’équipe de recherche s’est ensuite demandé comment cette découverte pouvait être utilisée pour des soins clinique. Ils ont alors exploité une base de données spécialisée, la Connectivity Map (CMap) du Broad Institute (MIT et Harvard) qui révèle des liens entre médicaments et chemins d’expression des gènes. Cette base de données leur a permis d’identifier près de 30 médicaments existants qui pourraient cibler l’importine apha-3 – vecteur de la protéine c-Fos. Près des deux tiers des composants identifiés n’étaient pas associés au soulagement de la douleur. L’équipe en a choisi deux – un médicament cardiotonique et un antibiotique – et les a testés sur des souris. Et effectivement, les injections de ces composés ont entraîné un soulagement des symptômes de douleur neuropathique chez les souris.

« Les composés que nous avons identifié lors de nos recherches dans cette base de données sont une sorte de raccourci – une preuve que les médicaments déjà approuvés pour d’autres utilisations peuvent probablement être utilisés pour traiter les douleurs chroniques, » dit le docteur Marvaldi. « Des essais cliniques pourraient être conduits très prochainement puisqu’il a déjà été démontré que ces composés sont sans danger pour l’Homme. »

« Nous sommes à présent en mesure de conduire des études pour de nouvelles et de meilleures molécules médicamenteuses qui pourront cibler précisément cette chaîne d’évènements dans les neurones sensoriels, » dit le professeur Fainzilber. « Des molécules aussi ciblées pourraient avoir moins d’effets secondaires et être moins addictives que les traitements actuels et pourraient apporter de nouvelles options pour réduire le poids des douleurs chroniques. ». D’autres chercheurs ont également participé à cette étude : les docteurs Nicolas Panayotis, Stefanie Alber, Shachar Y. Dagan, Nataliya Okladnikov, Indrek Koppel, ainsi que Agostina Di Pizio, Didi-Andreas Song, Yarden Tzur, les docteur Marco Terenzio, Ida Rishal et Dalia Gordon du département des sciences biomoléculaires de l’Institut Weizmann des Sciences, le docteur Franziska Rother du Centre Max-Delbruck, Berlin, et de l’Université de Lübeck, Allemagne et le professeur Enno Hartmann de l’Université de Lübeck.

Les recherches du professeur Fainbilzer sont financées par le Centre Moross intégré pour le cancer, le Centre pour les recherches sur la chimie de la vie David Barton, le Centre pour les maladies neurologiques Nella et Leon Benoziyo, le Laboratoire pour la spectrométrie de masse biologique Laraine et Alan A. Fischer, la fondation pour la recherche médicale du docteur Miriam et Sheldon G. Adelson, la fondation Rising Tide, Lawrence Feis, la succession Florence et Charles Cuevas, la succession Lilly Fulop, la succession Lola Asseof et le conseil européen pour la recherche. Le professeur Fainbilzer est détenteur de la chaire professorale de neurosciences moléculaires Chaya.



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