Des papillons dans le cerveau

Les structures qui ressortent des réponses neurales pourraient être les « unités » de base de l’organisation

John O’Keefe, colauréat du prix Nobel de médecine en 2014, et son équipe ont découvert chez des rats explorant leur environnement des cellules de reconnaissance spatiale dans une région du cerveau appelée l’hippocampe. Mais comment savaient-ils quelles cellules observer ? John O’Keefe savait déjà vraisemblablement que des dommages infligés à cette partie de l’hippocampe affectaient la mémoire spatiale. « Le problème avec ce genre d’hypothèse, quand on cherche des corrélats neuraux – l’activité des neurones liée à l’expérience – est que vous pouvez facilement ne pas remarquer que les neurones que vous enregistrez encodent différentes variables et pas uniquement celle que vous recherchez, » dit le docteur Alon Rubin de l’équipe du docteur Yaniv Ziv du Département de Neurobiologie de l’Institut Weizmann.


(de gauche à droite) Nitzan Geva, Liron Sheintuch, docteur Yaniv Ziv et docteur Alon Rubin

Jusqu’à récemment, les chercheurs devaient travailler à partir d’hypothèses, mais de nouvelles méthodes développées dans différents laboratoires dont celui du docteur Ziv leur permettent à présent d’observer les activités de près de 1 000 neurones à la fois. Cette capacité permet aux scientifiques d’inverser les méthodes expérimentales traditionnelles en commençant par observer l’activité des chemins neuronaux émergeant de ces plus grands réseaux sans mesurer aucune activité ou sensation, puis d’explorer ensuite leur fonctionnement. « En posant des questions plus simples, nous pouvons éviter ces présupposés et vérifier expérimentalement nos nouvelles hypothèses » dit le docteur Rubin.

Les recherches sur les réseaux neuronaux ont permis de dévoiler les relations entre les chemins d’activité des neurones sous formes géométriques, et par exemple de constater que le chemin de l’activité des neurones quand un rat ou une souris bouge sa tête dans différentes directions est en forme d’anneau. Afin de confirmer leur méthode, le docteur Rubin et le docteur Ziv ont commencé avec cette carte bien étudiée, ou « courbe de sélectivité neuronale » des cellules actives lorsqu’un animal tourne la tête. Les chercheurs ont développé une méthode analytique basée sur la responsivité individuelle des neurones au sein du réseau, au cours des différents états par lesquels passe le réseau. Après avoir obtenu cette courbe de sélectivité neuronale interne, les chercheurs ont pu montrer le lien entre cette courbe et les actions externes des mouvements de la tête.

L’équipe de recherche a ensuite montré que ces chemins en forme d’anneau apparaissaient dans le même groupe de neurones du cerveau des souris pendant le sommeil paradoxal et ces courbes de sélectivité neuronale correspondaient à celles observées chez les animaux éveillés explorant leur environnement. « Ces enregistrements donnent peut-être des indices sur le contenu des rêves des souris, » dit le docteur Rubin, « mais ils indiquent aussi que cette méthode peut identifier les corrélats neuraux même sans manifestation physique évidente dans le monde extérieur. »

Au cours d’une expérience, les chercheurs ont découvert une structure non pas en forme d’anneau mais plutôt en forme de papillon en trois dimensions. Les souris de cette expérience étaient entraînées à faire des allers-retours sur une piste présentant une récompense à chaque extrémité et l’enregistrement s’effectuait au niveau de l’hippocampe, dans la même zone que les cellules de reconnaissance spatiale identifiées par John O’Keefe et son équipe une dizaine d’années auparavant. En suivant les réponses des neurones tout au long de ce chemin, alors que les souris faisaient des allers-retours, l’équipe a découvert qu’elle pouvait déduire la position de la souris sur la piste à n’importe quel moment. En d’autres termes, pour la souris, la structure en papillon reflétait une carte cognitive qui lui permettait de savoir d’où elle venait et vers où elle allait.

En suivant quotidiennement cette activité, alors que la souris continuait ces allers-retours, les chercheurs ont découvert que le chemin en forme de papillon restait stable, même quand le sous-ensemble de neurones impliqué changeait. Ce chemin était en fait si stable que les chercheurs ont découvert qu’il pouvait leur indiquer où l’animal se trouvait sur la piste en utilisant les données provenant d’un autre animal !


Relations structurées entre les chemins d’activité neuronaux dans l’hippocampe : chaque point représente un chemin d’activité d’environ 450 cellules nerveuses au cours d’une fenêtre temporelle de 50 millièmes de seconde. Les couleurs représentent différentes conditions du réseau. Ces conditions de réseau sont liées à différents comportements (courir, boire, tourner) à différents endroits sur la piste

Mais l’hippocampe n’est pas la seule région du cerveau à être active quand une souris court sur une piste. Les chercheurs ont répété leur expérience en enregistrant une autre région du cerveau appelée cortex cingulaire antérieur. La façon dont les neurones travaillent dans cette zone du cerveau est encore peu connue mais on sait que parmi ses fonctions, elle est importante pour la mémoire à long-terme. Dans cette zone, les chercheurs ont découvert un autre type de structure. Après analyse des données, les informations obtenues permettaient cette fois de connaitre la position de la souris vis-à-vis d’une extrémité de la piste, sans s’occuper de la direction. Les chercheurs ont appelé ce second chemin « phase de trajectoire ». En d’autres termes, le cerveau de la souris pourrait utiliser ce chemin pour encoder le rythme des pas de la souris ou pour anticiper l’arrivée à la fin de la piste.

« En observant les neurones individuellement, nous ne voyons que des modèles d’activité instables, mais ces structures plus grandes sont stables et peuvent organiser et stocker l’information de manière stable, » dit le docteur Rubin. « Nos découvertes montrent que des informations significatives sont cachées au sein de l’activité neuronale et qu’il est possible de les découvrir sans hypothèses préalables concernant les fonctions d’un groupe de cellules, » ajoute le docteur Ziv. « Cela pourrait être un outil puissant pour découvrir comment notre cerveau encode différents types d’information. »

Les recherches du docteur Yaniv Ziv sont financées par la bourse Adelis pour la Recherche sur le Cerveau et par Sonia T. Marschak. Le docteur Ziv est détenteur de la chaire pour le Développement de Carrière du docteur Daniel E. Koshland.



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