Une protéine antigel peut-elle également favoriser la formation de glace ?

Des recherches récentes montrent que certaines protéines antigel ont cette double capacité.

La capacité antigel est essentielle à la survie durant un hiver froid : Les protéines antigel naturelles permettent aux poissons, aux insectes, aux plantes et même aux bactéries de survivre à des températures si basses que leurs éléments liquides auraient autrement été transformés en tessons de glace mortels. Assez curieusement, ces mêmes protéines peuvent également, dans un milieu très froid, favoriser la croissance de cristaux de glace. Tel est le résultat d’expériences menées en Israël et en Allemagne avec des protéines extraites de poissons et de coléoptères. Les résultats de cette étude, publiée récemment dans The Journal of Physical Chemistry – Letters, pourraient aider à mieux comprendre les processus de base intervenant dans la formation de la glace.   

Les protéines antigel n’empêchent pas la formation initiale de glace. Elles s’enroulent autour de minuscules cristaux de glace – ceux qui constituent le germe sur lequel se développent des cristaux de glace plus gros – et les empêchent de se développer. La larve du tribolium de la farine, par exemple, a de telles protéines sur sa coquille extérieure pour empêcher la formation de glace qui pourrait fracturer sa peau fragile. 

Les scientifiques ont cherché à comparer les protéines antigel aux protéines naturelles capables de favoriser la croissance des cristaux de glace. On sait, par exemple, que certaines bactéries suscitent la formation de cristaux de glace tranchants qui incisent ensuite la peau des tomates mûres. Alors que l’on pensait que ces deux types de protéines étaient très différents, des études scientifiques antérieures suggéraient déjà qu’elles étaient plus semblables qu’on ne l’imaginait. L’hypothèse de départ reposait sur l’idée que les protéines antigel ont un site actif pouvant se lier à la glace, et qu’un tel site peut favoriser la formation d’un noyau de glace initial susceptible de se transformer en cristal de glace.  Le problème était que, jusqu’à présent, on ne disposait pas de moyens permettant d’isoler véritablement les actions de ces molécules biologiques. 

La présente étude a été dirigée par le professeur Thomas Koop de l’Université de Bielefeld en Allemagne, en collaboration avec le groupe du Pr.Ido Braslavsky de l’Université hébraïque de Jérusalem et du Pr. Yinon Rudich de l’Institut Weizmann des Sciences. Un dispositif baptisé WISDOM (Weizmann Supercooled Droplets Observation on a Microarray = système de Weizmann pour l’observation de gouttelettes sur-refroidies sur un microréseau), développé au sein du groupe du professeur Yinon Rudich, a rendu cela possible. Ce dispositif microfluidique est doté de canaux et de pièges à gouttelettes de taille micronique qui ont permis aux chercheurs de capturer des microgouttelettes d’eau ultra-pure sur chaque puce. Ils ont ensuite ajouté des quantités savamment dosées de protéines antigel extraites de larves du tribolium de la farine ou d’un poisson vivant toute l’année dans l’Arctique. 

Après l’ajout des protéines antigel, les gouttelettes ont été fortement refroidies. Bien qu’ayant déjà été refroidie bien au-dessous de son point de congélation normal, l’eau était toujours liquide (donc en surfusion), en partie parce qu’il lui manquait les impuretés qui normalement font que notre eau se transforme en glaçons à 0 degré. La glace ne s’est en fait formée que lorsque la température de l’eau dans les échantillons était passée en dessous de moins 30 degrés. Cette configuration d’expérience a permis au groupe de s’assurer que toute activité de formation de glace ou de prévention de formation de glace était uniquement due à l’action des protéines. 

Alors que dans des microgouttelettes d’eau pure où rien n’est ajouté la glace commence à se former à environ 38,5 degrés au-dessous de zéro, dans environ la moitié des échantillons contenant des protéines antigel des cristaux de glace commencèrent à se former à une température plus élevée, proche de moins 34 degrés. En d’autres termes, à certaines températures, qui sont extrêmes mais présentes sur notre planète, l’antigel devient en fait pro-gel et déclenche la croissance de cristaux de glace. 

Le groupe a comparé ces résultats à ce que l’on sait sur les protéines naturelles INP (protéines de nucléation de la glace) qui favorisent la croissance de cristaux de glace. Les INP sont capables de former efficacement de la glace à des températures plus élevées que celles auxquelles les protéines antigel sont passées en mode de production de glace. Les scientifiques présument que la principale différence réside dans la taille des protéines – les INP étant nettement plus grosses. Ces résultats contribuent donc à notre compréhension des processus de formation de la glace et de prévention d’une telle formation. Pour le professeur Rudich, dont les travaux portent sur l’atmosphère et le climat, cela pourrait aider à éclairer les processus physiques intervenant dans la formation des nuages, dans lesquels des protéines et d’autres molécules complexes ont un impact sur le développement des cristaux de glace dans les nuages. 

Des protéines antigel comme celles des poissons sont aujourd’hui utilisées, entre autres, pour garder la crème glacée lisse et pour préserver du gel des surfaces extérieures. Cette étude suggère que ces protéines pourraient avoir des limites et en fait favoriser le développement de glace lorsqu’elles sont exposées à des températures extrêmement froides telles que celles qui ont frappé le continent nord-américain cette année. Les INP ont également leur utilisation, par exemple dans les stations de ski qui souhaitent prolonger la saison. Cette étude sur les protéines antigel pourrait donc même aboutir à la création de protéines plus performantes pour la formation de glace. 

La recherche du Pr. Yinon Rudich bénéficie du soutien du Nancy and Stephen Grand Research Center for Sensors and Security, du Dr. Scholl Center for Water and Climate, du David and Fela Shapell Family Foundation INCPM Fund for Preclinical Studies, du Sussman Family Center for the Study of Environmental Sciences, du Benoziyo Endowment Fund for the Advancement of Science, du Ilse Katz Institute for Material Sciences and Magnetic Resonance Research, du De Botton Center for Marine Science, de Dana et Yossie Hollander, du Herbert L. Janowsky Lung Cancer Research Fund, de Paul et Tina Gardner, d’Adam Glickman, de la succession de Fannie Sherr et de la succession de David Levinson.



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