Des bactéries pour aider la réponse immunitaire anticancer

Les découvertes d’une nouvelle étude pourraient expliquer la connexion entre microbiome et immunothérapie.

Une bactérie qui réside dans les cellules tumorales pourrait être un coup de pouce pour l’immunothérapie des cancers. Dans une nouvelle étude publiée dans Nature, des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences et leurs collaborateurs ont découvert que le système immunitaire « voit » ces bactéries ; ils ont montré que celles-ci peuvent être utilisées pour provoquer une réaction immunitaire contre la tumeur. Cette étude pourrait également aider à clarifier la connexion entre immunothérapie et microbiome intestinal, expliquant les découvertes de précédentes études qui indiquent que le microbiome influence le succès de l’immunothérapie.

Images colorisées de microscopie électronique de cellules de mélanome abritant des bactéries
Images colorisées de microscopie électronique de cellules de mélanome abritant des bactéries

Les traitements par immunothérapie de ces dix dernières années ont énormément amélioré le taux de guérison de certains cancers, en particulier les mélanomes malins. Malgré cela, ils ne fonctionnent cependant que dans environ 40% des mélanomes. Le professeur Yardena Samuels du Département de Biologie Cellulaire et Moléculaire de l’Institut Weizmann étudie les « panneaux indicateurs » moléculaires – des fragments de protéines, ou peptides, sur la surface cellulaire – qui indiquent que les cellules cancéreuses sont étrangères et pourraient constituer des cibles potentielles supplémentaires pour l’immunothérapie. Dans cette nouvelle étude, le professeur et ses collègues ont étendu leurs recherches à de nouveaux « panneaux indicateurs »  de cancer portés par des bactéries connues pour coloniser les tumeurs.

En utilisant des méthodes développées par le docteur Ravid Straussman, un collègue de son département qui fut l’un des premiers à révéler la nature des « invités » bactériens des cellules cancéreuses, le professeur Samuels et une équipe de son laboratoire dirigée par le docteur Shelly Kalaora et Adi Nagler (premiers co-auteurs de l’étude), ont analysé des échantillons de tissus de 17 tumeurs de mélanome métastatique provenant de neuf patients. Ils ont obtenu les profils génomiques bactériens de ces tumeurs et ont ensuite appliqué une approche appelée analyse peptidomique HLA pour identifier les peptides de tumeurs pouvant être reconnus par le système immunitaire.

L’analyse peptidomique HLA a révélé près de 300 peptides venant de 41 bactéries différentes sur la surface des cellules de mélanome. Plus important encore, ces peptides étaient exposés à la surface des cellules cancéreuses dans les complexes protéiques HLA – complexes présents sur les membranes de toutes nos cellules et jouant un rôle dans la régulation de la réponse immunitaire. L’une des tâches de ces HLA est d’alerter de la présence de tout signe étranger en « exposant » les peptides étrangers au système immunitaire pour que les lymphocytes T puissent les « voir ». « En utilisant l’analyse peptidomique HLA, nous avons pu dévoiler d’une façon non biaisée les peptides de la tumeur exposés par les HLA, » dit le docteur Kalaoara. « Cette méthode nous a déjà permis par le passé d’identifier des antigènes tumoraux ayant montré des résultats prometteurs lors d’essais cliniques. »

Nous ne savons pas encore exactement pourquoi les cellules cancéreuses commettent un tel acte suicidaire en exposant des peptides bactériens au système immunitaire qui peut réagir en détruisant ces cellules. Mais quelle qu’en soit la raison, le fait que les cellules malignes présentent ces peptides révèle un tout nouveau type d’interactions entre le système immunitaire et la tumeur.

Cette révélation apporte une explication potentielle à la façon dont le microbiome affecte l’immunothérapie car certaines des bactéries identifiées par l’équipe sont des microbes intestinaux connus. La présence de peptides bactériens sur la surface des cellules tumorales joue un rôle dans la réponse immunitaire et de futures études pourraient établir quels peptides bactériens favorisent cette réponse, permettant aux médecins de prédire le succès de l’immunothérapie et de concevoir des traitements personnalisés.

De plus, le fait que le système immunitaire détecte les peptides bactériens sur les cellules tumorales peut être exploité pour améliorer l’immunothérapie. « Nombre de ces peptides sont partagés par différentes métastases du même patient ou par différentes tumeurs de patients différents ce qui suggère qu’ils ont un potentiel thérapeutique et une capacité à activer l’immunité, » dit Adi Nagler.

Image par immunofluorescence 3D de cellules de mélanome (magenta) infectées par des bactéries (turquoise). Les noyaux des cellules sont en bleuImage par immunofluorescence 3D de cellules de mélanome (magenta) infectées par des bactéries (turquoise). Les noyaux des cellules sont en bleu

Dans une série d’expériences encore en cours, le professeur Samuels et ses collègues ont incubé des lymphocytes T de mélanomes avec des peptides bactériens de cellules tumorales issus d’un même patient : les lymphocytes T ont été activés spécifiquement face à ces peptides bactériens.

« Nos découvertes suggèrent que les peptides bactériens présents sur les cellules tumorales peuvent servir de cibles potentielles pour l’immunothérapie, » dit le professeur Samuels. « Ils pourraient être utilisés pour aider les lymphocytes T à reconnaître la tumeur avec une plus grande précision afin que ceux-ci puissent attaquer plus efficacement le cancer. Cette approche pourra être utilisée en combinaison avec d’autres médicaments d’immunothérapie existants. »

Cette étude a été menée en collaboration avec le docteur Jennifer A. Wargo du MD Anderson Cancer Center de l’Université de Houston au Texas, le professeur Scott N. Peterson du Sanford Burnham Prebys Medical Discovery Institute, La Jolla en  Californie, le professeur Eytan Ruppin du National Cancer Institute aux USA, le professeur Arie Admon du Technion – Institut de technologie d’Israël et d’autres scientifiques.

Les recherches du professeur Yardena Samuels sont financées par l’Institut EKARD pour la recherche sur le diagnostic du cancer, la banque Weizmann-Brésil Tumor Bank, le centre intégré Moross pour la recherche sur le cancer, le laboratoire du fonds M.E.H. établi par Margot et Ernst Hamburger, la fondation de la famille Green, le fonds de recherche sur le mélanome de la famille Wagner-Braunsberg, le fonds Jean-Jacques Brunschwig pour la génétique moléculaire du cancer, le fonds Erica Drake, Miel de Botton, la fondation Rising Tide, la fondation Ramón Areces, le fonds pour la recherche sur le cancer Hanna et docteur Ludwik Wallach, la fiducie Jacques Asseoff, la succession Adrian Finer, la succession Mady Dukler, Karl-Johan Persson et la succession Malka Moskowitz. Le professeur Samuels est détentrice de la chaire professorale de la famille Knell.



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