Moins d’infections, plus d’allergies : quel est le lien ?

Les « paquets » libérés par le parasite de la bilharziose pourraient détenir la clef de meilleurs diagnostics et traitements, et montrer de nouvelles façons de traiter les maladies auto-immunes.

Un schistosome femelle sortant du corps d’un mâle adulte. Image au microscope électronique à balayage par Bruce Wetzel et Harry Schaefer

L’augmentation actuelle des allergies dans le monde occidental pourrait être le prix à payer de l’exposition à moins d’infections. C’est ce qu’on appelle « l’hypothèse hygiéniste » : l’exposition à des organismes infectieux nous protégerait en quelque sorte des allergies, et les personnes vivant dans un environnement relativement stérile ne bénéficieraient plus de cette protection. Une collaboration entre l’Institut Weizmann des Sciences, le Centre médical Sheba et l’Université Bar Ilan apporte de nouvelles informations en faveur de cette hypothèse. Dans une étude publiée dans EMBO Reports, ils montrent qu’ils ont découvert un lien entre le ver parasite de la bilharziose ou schistosomiase – aussi connu sous le nom de schistosome, qui affecte plus de 200 millions de personnes dans le monde, majoritairement en Afrique – et la réduction de la réponse immunitaire qui provoque des troubles allergiques.

Le projet de recherche est né d’une rencontre fortuite entre deux chercheurs israéliens au cours d’une conférence scientifique aux États-Unis. Le docteur Neta Regev-Rudzki, du département des sciences biomoléculaires de l’Institut Weizmann, parlait d’une de ses découvertes avec le professeur Eli Schwartz, du Centre médical Sheba : le parasite de la malaria envoie des messages trompeurs au système immunitaire des personnes infectées en libérant de petits segments de son ADN encapsulés dans des « paquets » en forme de sacs, ou nanovésicules. Le professeur Schwartz, qui a traité de nombreux voyageurs atteints d’infections tropicales, s’est alors demandé si les schistosomes – les parasites de la bilharziose – employaient la même stratégie. Cela pourrait en effet aider à expliquer comment le ver échappe à la détection du système immunitaire, et pourrait avoir des retombées sur le diagnostic et les traitements de la bilharziose.

(de gauche à droite) Docteur Neta Regev-Rudzki, docteur Yiftah Barsheshet, docteur Dror Avni, docteur Yifat Ofir-Birin, professeur Eli Schwartz, docteur Orly Avni et docteur Tal Meningher

Les êtres humains sont infectés par les schistosomes en se baignant dans des lacs ou des bassins d’eau douce. Le ver évolue dans le corps humain, pondant des milliers d’œufs. Certains se retrouvent dans l’eau via les matières fécales ou l’urine, donnent naissance à des larves et infectent les escargots d’eau douce dans lesquels ils continuent à se développer avant d’être à nouveau relâchés dans l’eau, prêts à infecter d’autres humains ou mammifères. L’infection provoque parfois des douleurs, des diarrhées et d’autres symptômes mais elle peut également persister dans le corps pendant des années sans aucun symptôme. La bilharziose est diagnostiquée par une analyse sanguine qui détecte les anticorps contre les vers mais puisque les anticorps demeurent après le traitement et la mort des vers, le test ne peut pas distinguer une infection active d’une infection passée. Ainsi, les chercheurs ont émis l’hypothèse que si les vers utilisent l’astuce du parasite de la malaria, libérer des nanovésicules, leur présence pourrait indiquer que des vers vivants sont toujours présents. En plus d’apporter plus de précision au diagnostic, trouver de telles vésicules pourrait aider les chercheurs à comprendre comment le parasite affecte le système immunitaire de son hôte humain.

Afin de mener à bien cette étude, le docteur Dror Avni et ses collègues du Centre médical Sheba se sont associés au docteur Regev-Rudzki de l’Institut Weizmann et au docteur Orly Avni, immunologiste de la Faculté de médecine Azrieli à l’Université Bar-Ilan. Après avoir adapté les techniques développées par le docteur Regev-Rudzki pour étudier la malaria, les chercheurs ont utilisé un microscope électronique et un microscope à force atomique pour analyser des particules isolées à partir d’une solution dans laquelle ils avaient fait grandir des vers adultes. Ils ont découvert que les schistosomes libéraient des nanovésicules caractéristiques contenant de petits segments de leur matériel génétique appelé microARN. Les chercheurs ont ensuite découvert les mêmes paquets de nanovésicules à microARN dans des échantillons de sang venant de personnes infectées par la bilharziose. La quantité de ces microARN diminue significativement après le traitement, suggérant qu’ils ont bien été produits par les vers.


Des nanovésicules libérées par les schistosomes, vues par microscope électronique à transmission

Afin d’explorer les effets des nanovésicules sur le système immunitaire, les chercheurs ont commencé par confirmer que les lymphocytes T isolés des ganglions lymphatiques de souris infectées par la bilharziose contenaient effectivement du microARN venant des vers. Les scientifiques ont ensuite créé une procédure en laboratoire au cours de laquelle les vers étaient séparés, par un filtre, d’une solution contenant des lymphocytes T primaires – qui ne sont pas encore différenciés en sous-types. Les paquets produits par les vers pouvaient passer à travers ce filtre mais pas les vers. Les scientifiques ont découvert que, quand les nano-paquets pénétraient les lymphocytes T, déposant les fragments de microARN des vers dans ces cellules, le matériel génétique bloquait les réactions biochimiques supposées aider les lymphocytes T à se différencier en un sous-type appelé Th2. Th2 est responsable de l’activation de la branche du système immunitaire qui combat les infections parasitaire. En d’autres termes, les vers dispersent leur message trompeur via leurs nano-paquets, empêchant le système immunitaire de répondre pour se défendre.

Ces découvertes expliquent comment la bilharziose peut persister pendant des années sans provoquer aucune réponse immunitaire. Elles apportent également des arguments à l’hypothèse hygiéniste : les lymphocytes Th2 sont les principaux responsables de l’asthme, des dermatites atopiques et de nombreuses autres allergies et maladies auto-immunes dans lesquelles le système immunitaire attaque par erreur ses propres tissus et organes. Ces maladies sont peu communes dans les pays en voie de développement où les infections parasitaire sont très présentes et peuvent supprimer les lymphocytes Th2.


Des lymphocytes T de souris ont intégré des nanovésicules (en rouge) libérées par les schistosomes

Les découverte de cette étude pourraient permettre d’améliorer les méthodes de diagnostic de la bilharziose et de créer une nouvelle méthode de suivi du fonctionnement du traitement basée sur la détection du matériel génétique des vers plutôt que sur celle des anticorps. Les futurs traitements pourraient empêcher les nano-paquets d’atteindre le système immunitaire afin que celui-ci puisse se défendre face au parasite. De plus, quand les interactions entre les nano-paquets et le système immunitaire seront mieux comprises, il sera peut-être possible de développer de nouvelles façons de manipuler le système immunitaire en se basant sur ces interactions afin d’empêcher ou de traiter les maladies auto-immunes.

D’autres chercheurs ont également participé à cette étude : le docteur Tal Meningher et le professeur Yechezkel Sidi du Centre médical Sheba, le docteur Yiftah Barsheshet et Boris Brant de la Faculté de médecine Azrieli à l’Université Bar-Ilan, le professeur Daniel Gold de l’Université de Tel-Aviv et le docteur Yifat Ofir-Birin et Elya Dekel du département sciences biomoléculaires de l’Institut Weizmann.

Les recherches du docteur Neta Regev-Rudski sont financées par le fonds de dotation Benoziyo pour l’avancée de la science, le fonds de dotation du docteur Dvora et d’Haim Teitelbaum, le programme Weizmann-UK Making Connections, Richard et Mica Hadar, David E. et Sheri Stone.



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