Des particules neutres conservant la chaleur

En prouvant une théorie vieille de 20 ans, des scientifiques montrent que des particules imaginaires transportent la même énergie que les particules réelles

(de gauche à droite) Amir Rosenblatt, le Docteur Mitali Banerjee, le Docteur Diana Mahalu, le Professeur Adi Stern, le Docteur Vladimir Umansky, le Professeur Yuval Oreg et le Professeur Moty Heiblum

Quelques minutes après minuit, le téléphone sonna chez le Professeur Moty Heiblum. A l’autre bout du fil, son collègue en post doctorat, le Docteur Mitali Banerjee, membre de son groupe de recherche au Département des Sciences de la Physique de la Matière Condensée de l’Institut Weizmann prononça trois mots : « ça a marché. ». Ce moment a été le point culminant de deux années de recherches durant lesquelles, d’après le Docteur Banerjee, « Moty a travaillé de longues nuits dans le laboratoire, comme s’il était encore un jeune étudiant. ». Le résultat : le groupe a prouvé que la chaleur – ou l’énergie thermique – que diverses particules imaginaires (quasi particules) transportent est limitée par les mêmes valeurs universelles que pour les particules réelles telles que les électrons ou les photons. Ces nouveaux résultats ont été obtenus comme conséquence d’une série de découvertes antérieures du Professeur Heiblum et de ses collègues.

Ces résultats ont apporté des preuves expérimentales à l’appui, par exemple, d’une prédiction théorique (qui a valu le Prix Nobel à ses auteurs) de l’existence de particules « imaginaires » ou « quasi particules » portant une charge équivalente à une fraction seulement de celle portée par un électron normal. Des particules imaginaires spéciales apparaissent dans ce qu’on appelle les systèmes Hall quantiques ; les premières que le Professeur Heiblum et ses collègues ont identifiées portaient un tiers, un cinquième ou un septième de la charge d’un électron. Ces particules imaginaires agissent comme de vrais électrons, mais avec une charge différente. Dans les recherches ultérieures, les chercheurs ont identifié un type différent de particules imaginaires, chargées cette fois d’un quart de la charge normale – c’est-à-dire avec un dénominateur pair et non impair. D’autres expériences ont permis d’observer encore un autre type nouveau de particules imaginaires – prédit par la théorie – qui ne portent aucune charge (ou neutres) et se déplacent dans la direction opposée au courant électrique.

L’observation de ce phénomène quantique contredit le modèle général de la physique classique

Une des propriétés les plus exceptionnelles de l’effet Hall quantique – et plus précisément de l’effet Hall quantique fractionnaire – est que la conductance électrique, qui peut être mesurée avec précision, est considérée comme discrète – à savoir qu’il n’en existe que des valeurs discontinues (en se basant sur la charge électrique et la constante de Planck). Ces quantités sont mesurées avec une précision de moins d’un milliardième. Mais cette propriété – l’existence de valeurs discrètes de la conductivité si précises – peut-elle aussi être appliquée à la conductance thermique d’un système ?

Dans une autre théorie proposée il y a 20 ans, des quasi particules bougeant librement dans un système dans lequel elles ne rencontrent aucune résistance – électrons, photons, phonons, etc. – transportent une énergie quantifiée en “paquets” ou “quanta”. Le Professeur Heiblum, les Professeurs et physiciens théoriciens Adi Stern et Yuval Oreg, membres du laboratoire du Professeur Heiblum, et le Professeur Dimitri Feldman de l’Université de Brown (Providence, Rhode Island) ont voulu tester cette théorie et vérifier que tous les types de particules imaginaires qu’ils avaient découverts transportaient l’énergie selon ce modèle – indépendamment de leur charge, soit fractionnaire, soit neutre.

Le Docteur Diana Mahalu devant la salle blanche dans le Centre Braun pour la Recherche Submicronique

L’équipe, incluant des scientifiques, les Docteurs Vladimir Imansky et Diana Mahalu, et un étudiant chercheur, Amir Rosenblatt, a montré que l’énergie portée par les quasi particules se mesure effectivement en multiples d’une quantité fixe : le quantum de conductance thermique. Ce quantum est universel – il dépend uniquement des constantes de Boltzman (kB) et de Planck (h) et de la valeur du nombre pi (π = 3,1416…). L’équipe a réussi à créer une situation dans laquelle certaines des particules électriquement neutres à propagation opposée au courant électrique portaient plus de paquets d’énergie que les électrons. Par conséquent, l’énergie nette du système était transportée en sens opposé au courant électrique. La démonstration expérimentale de ce phénomène quantique va à l’encontre de notre compréhension générale de la physique classique.

Cette nouvelle vision de la façon dont l’énergie thermique, ou la chaleur, est transportée par un système quantique et de la façon dont elle peut être mesurée apporte des connaissances qui n’avaient pu être acquises jusqu’ici. « Maintenant que c’est possible », affirme le Professeur Heiblum, « la voie est tracée pour plus d’expérimentations sur le transport de la chaleur qui pourraient dévoiler encore plus la nature des phénomènes quantiques. »

Les recherches du Professeur Moty Heiblum sont financées par le Fond Benoziyo pour l’Avancée de la Science ; le Centre Joseph H. et Belle R. Braun pour la Recherche Submicronique, qu’il dirige ; et le Centre Gruber pour l’Electronique Quantique, qu’il dirige également. Le Professeur Heiblum est titulaire de la Chaire professorale Alex et Ida Sussman pour l’Electronique Submicronique.



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