A l’assaut de la forteresse ! Fissurer le béton entourant les biofilms bactériens

Des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences proposent un moyen de briser les barrières qui limitent l’accès des antibiotiques

Des bactéries cause de certaines infections forment des colonies qui construisent un  mur en carbonate de calcium (matière des perles et composant du béton) qui empêche les antibiotiques d’atteindre ces bactéries. Celles-ci sont tuées dès que l’antibiotique peut les atteindre donc les recherches s’orientent sur les moyens de détruire ce mur.

Percer des murs de béton peut sembler bien loin d’une approche thérapeutique, mais des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences suggèrent que c’est tout simplement ce qui pourrait aider à surmonter la résistance des bactéries aux antibiotiques. Dans une nouvelle étude parue dans le journal npj Biofilms and Microbiomes, les chercheurs proposent de traiter les infections résistantes en détruisant les murs qui protègent les colonies de bactéries appelés biofilms.

Lors d’études antérieures, l’équipe du Docteur Ilana Kolodkin-Gal, du Département de Génétique Moléculaire de l’Institut Weizmann, a montré que les bactéries dans les biofilms bâtissent une forteresse en carbonate de calcium cristallin, un minéral dur qui est le principal composant des perles dans la nature et qui est utilisé pour produire du béton dans l’industrie du bâtiment. Dans la nouvelle étude, dirigée par le Docteur Alona Keren-Paz, l’équipe – dont fait partie le Docteur Vlad Brumfeld du Département d’Assistance à la Recherche Chimique de l’Institut Weizmann et le Docteur Yaara Oppenheimer Shaanan, ancienne post-doctorante du laboratoire du Docteur Kolodkin-Gal – a tenté de définir la structure et les fonctions des forteresses des biofilms et d’apprendre à les détruire.

(de gauche à droite) Les Docteurs Alona Keren-Paz et Ilana Kolodkin-Gal sont en train de découvrir comment les biofilms repoussent les antibiotiques

A la suite du développement d’une méthode pour obtenir des images tridimensionnelles des biofilms bactériens grâce à la tomographie à rayons X de haute-résolution, les chercheurs ont découvert que l’image de la forteresse n’était pas qu’une métaphore. Il s’avère que le carbonate de calcium forme tout autour de la colonie bactérienne un édifice cristallin bien défini, avec des murs et un plafond. « Les murs permettent apparemment à la colonie de prendre de l’épaisseur, tandis que le plafond la protège des influences extérieures, » explique le Docteur Kolodkin-Gal.

Les chercheurs ont montré que la barrière de carbonate de calcium empêche la diffusion de molécules de colorants fluorescents comme celles des antibiotiques à l’intérieur du biofilm bactérien. Cela pourrait aider à expliquer pourquoi les biofilms sont en moyenne un millier de fois plus résistants aux antibiotiques que les bactéries individuelles. En fait, l’étude de l’Institut Weizmann montre même que les bactéries individuelles contenues dans le biofilm ne sont pas résistantes aux antibiotiques : quand on les extrait du biofilm, elles sont détruites par les traitements antibiotiques. Le carbonate de calcium crée donc une barrière physique qui les protège des antibiotiques. « Donner un antibiotique dans cette situation équivaut à le lancer contre un mur. Il ne le traversera tout simplement pas, » dit le Docteur Kolodkin-Gal.

Donner un antibiotique dans cette situation équivaut à le lancer contre un mur

On sait que les biofilms bactériens se forment sur les valves des cœurs artificiels et les autres prothèses, et on pense qu’ils sont source de complications dans de nombreuses maladies chroniques comme le diabète, la tuberculose, l’arthrite et la fibrose kystique. En examinant les échantillons de tissus fournis par des hôpitaux, les scientifiques de l’Institut Weizmann ont confirmé la présence de minéraux bactériens dans un certain nombre de ces maladies.

Les chercheurs ont trouvé que le bouclier de carbonate de calcium correspond à environ 20 pourcent du poids du biofilm, un pourcentage similaire à celui des os dans le corps humain. En fait, les os ressemblent beaucoup à la forteresse du biofilm : en plus de l’utilisation de composés de calcium dur (phosphate de calcium dans le cas des os), tous deux sont unis par une matrice de fibres de protéines.

Gros plan sur le biofilm

L’étude révèle aussi que les bactéries construisent leur bouclier de carbonate de calcium en utilisant du dioxyde de carbone et du calcium grâce à une enzyme appelée uréase. Cette enzyme favorise notamment la construction du minéral en réduisant l’acidité du milieu environnant. Quand les scientifiques ont introduit dans les cultures bactériennes de laboratoire une petite molécule bloquant cette enzyme, le carbonate de calcium ne s’est pas formé. « De nombreuses infections qui ne peuvent pas être traitées par antibiotique à cause de la résistance bactérienne pourraient un jour être traitables si nous arrivons à détruire les biofilms pour que les médicaments puisent se diffuser partout, » dit le Docteur Kolodkin-Gal.

Dans un futur immédiat, les découvertes de cette nouvelle étude peuvent être utilisées dans le diagnostic pour accélérer le traitement. L’imagerie peut révéler si les bactéries ont formé un biofilm dans le corps ; on peut alors prédire l’efficacité des antibiotiques contre l’infection.

Construire des structures avec des Biofilms Bactériens

Une image 3D de la barrière minérale protégeant un biofilm bactérien obtenue par tomographie à rayons X de haute résolution

Comprendre la façon dont le carbonate de calcium est créé dans les biofilms bactériens peut aussi permettre d’atteindre le but opposé : au lieu de détruire les biofilms, cela peut permettre aux scientifiques de trouver des façons de les construire sur demande – par exemple, pour concevoir un béton auto-cicatrisant. Les Docteurs Kolodkin-Gal, Keren-Paz et des scientifiques du Royaume-Uni – le Professeur d’Architecture Martyn Dade-Robertson de l’Université de Newcastle et le Docteur en Biologie Meng Zhang de l’Université de Northumbria – ont récemment étudié la faisabilité de ce scénario théorique dans un numéro spécial de Microbial Biotechnology consacré à la contribution de la biotechnologie bactérienne au développement durable.

En liant béton et bactéries, les scientifiques suggèrent qu’il devrait être possible de réparer les fissures ou autres formes de dommages issus de l’érosion ou des mouvements de terrain. Les fissures seraient comblées par du carbonate de calcium généré par les biofilms bactériens. Atout supplémentaire : le processus utiliserait du dioxyde de carbone, aidant ainsi à contrebalancer l’accumulation de ce gaz à effet de serre !

Les recherches du Docteur Ilana Kolodkin-Gal sont financées par la Fondation de Famille David et Fela Shapell ; le Fond INCPM pour les Études Précliniques ; le Centre pour l’Assemblage et les Structures Biomoléculaires Helen et Milton A. Kimmelman ; l’Institut pour la Génétique Médicale de la Famille Kekst ; David E. et Sheri Stone, et la succession d’Helen Nichunsky. Le Docteur Kolodkin-Gal est détentrice de la Chaire perpétuelle pour le Développement de Carrière Rowland et Sylvia Schaefer.



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