01 Mai Quand les protéines font grève
Les chercheurs de l’Institut Weizmann ont forcé des milliers de protéines de levure à faire grève et ont découvert leurs rôles jusque-là inconnus dans certains des processus les plus fondamentaux de la vie.
Un principe commercial de base est qu’aucun travailleur n’est irremplaçable ; cela vaut également pour la plupart des protéines, les ouvriers de l’usine cellulaire de notre corps. Si nous éliminons une protéine, c’est-à-dire si nous la supprimons définitivement de notre génome par génie génétique, la cellule est susceptible de déclencher un mécanisme compensatoire pour la remplacer par d’autres protéines. Ce mécanisme est crucial pour la vie, mais il complique considérablement la tâche des chercheurs qui tentent de comprendre le rôle de chaque protéine. Que se passerait-il alors si nous forcions une protéine à se mettre soudainement en grève ? La cellule n’aurait pas le temps de trouver des remplaçants et cela pourrait révéler le rôle exact de la protéine en grève. Dans une nouvelle étude, publiée dans le Journal of Cell Biology, des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences ont installé des milliers de « machines à faire la grève » dans des colonies de levure, découvrant ainsi les rôles vitaux et jusqu’alors cachés de nombreuses protéines.
(de gauche à droite, sens de l’aiguille d’une montre) Rosario Valenti, Dr. Ehud Sass, Yeynit Asraf, Dr. Benjamin Dubreuil, Prof. Maya Schuldiner, Dunya Edilbi and Dr. Yotam David
Nous partageons environ deux tiers de notre constitution génétique avec la levure de boulangerie. C’est l’une des raisons pour lesquelles elle fait partie des organismes les plus étudiés dans la nature. Le matériel génétique de la levure contient environ 6 000 gènes codant pour des protéines. Cependant, malgré des décennies de recherche, nous ne savons toujours pas ce que font 1 200 de ces protéines. Dans leur nouvelle étude, des chercheurs du laboratoire du professeur Maya Schuldiner du département de génétique moléculaire de l’Institut Weizmann ont cherché à répondre à cette question. Ils y sont parvenus en utilisant un système qui leur a permis de retirer rapidement une protéine de la cellule, en d’autres termes, de la forcer à faire la grève en appuyant sur un bouton. Le système est composé de trois parties : un marqueur qui identifie la protéine que les chercheurs veulent étudier ; une protéine destructrice pour dégrader la protéine marquée et la forcer à faire la grève ; et une molécule médiatrice sans laquelle la grève ne pourrait pas avoir lieu.
L’équipe de recherche, dirigée par Rosario Valenti, doctorante, et le Dr Yotam David du laboratoire du Prof. Schuldiner, n’a pas installé son système dans seulement un seul gène. Au contraire , en utilisant le génie génétique, ils ont créé une bibliothèque génétique complète : une collection de 5 170 souches de levure, chacune avec une protéine différente marquée pour faire grève. « Avec l’aide de la branche Infrastructure informatique de l’Institut Weizmann, nous avons construit une bibliothèque numérique ouverte à tout scientifique souhaitant « emprunter » ces souches génétiques pour ses propres recherches », explique le Prof. Schuldiner. « Ils peuvent non seulement accéder aux souches elles-mêmes, mais aussi en apprendre davantage sur l’impact de les forcer à « faire grève ». »
La compréhension du rôle mystérieux des gènes et des protéines dans la levure n’intéresse pas seulement les scientifiques qui étudient les organismes unicellulaires ; ces découvertes pourraient également éclairer de nombreux gènes équivalents dans les cellules humaines. « Nous connaissons les défauts sous-jacents de nombreuses maladies génétiques rares, mais lorsque nous ne connaissons pas le rôle du gène défectueux, il n’y a pas de remède », explique le Prof. Schuldiner. « Nous partageons des centaines de ces protéines mystérieuses avec la levure, et révéler leurs rôles pourrait être la clé pour comprendre certaines de ces maladies. » Le Prof. Schuldiner s’intéresse particulièrement aux gènes essentiels aux mitochondries, les centrales énergétiques qui produisent l’énergie chimique pour l’ensemble de la cellule. Les scientifiques savent déjà qu’il existe un lien entre la forme et la distribution des mitochondries dans la cellule et le rôle qu’elles jouent. Par exemple, lorsqu’elles sont connectées les unes aux autres, elles ont tendance à convertir l’énergie beaucoup plus efficacement.
Cellules de levure avant la grève des protéines (colonne de gauche) et après (colonne de droite). Dans chaque rangée, un représentant différent d’une famille de protéines (vert) ayant une influence sur la structure des mitochondries (violet) a été contraint de faire grève. Au total, les scientifiques ont découvert 220 protéines différentes dont l’absence entraîne des anomalies structurelles dans ces organites vitaux.
La cellule s’emploie en permanence à remodeler la structure mitochondriale en fonction de ses besoins, et les dysfonctionnements de ce processus sont à l’origine de nombreuses maladies. Étonnamment, le mécanisme qui régule la disposition des mitochondries dans la cellule n’est que partiellement connu, et les facteurs de régulation sont encore moins connus. Grâce à leur nouvelle bibliothèque, les chercheurs de l’Institut Weizmann ont découvert 220 gènes dont les « anomalies » endommageaient la structure mitochondriale de la cellule, et ils ont identifié les gènes qui étaient importants pour maintenir un taux sain de conversion énergétique.
Les chercheurs ont également utilisé la bibliothèque pour étudier les protéines essentielles au cycle de vie de la cellule et ont identifié de nouvelles protéines qui régulent la division cellulaire. Au total, l’équipe a découvert le rôle de centaines de gènes dont on ignorait jusqu’alors qu’ils étaient vitaux pour la survie de la cellule. Ces gènes se sont révélés essentiels dans des environnements de croissance spécifiques, mais les chercheurs ont également découvert plusieurs gènes qui sont essentiels à la cellule dans n’importe quel environnement, mais qui n’avaient pas été reconnus comme tels jusqu’à présent.
La nouvelle bibliothèque est déjà un succès dans la communauté scientifique. « Des laboratoires du monde entier ont commencé à emprunter des souches individuelles afin d’étendre leurs recherches sur des protéines dont le rôle reste encore un mystère », explique le Prof. Schuldiner. « Ils sont également invités à emprunter des sections entières de la bibliothèque et à les utiliser pour déterminer quels éléments sont importants pour un processus cellulaire spécifique, comme nous l’avons démontré dans notre étude. J’espère que dans les années à venir, la bibliothèque contribuera également à lever le voile du mystère sur certains des processus qui se produisent dans les cellules humaines, qu’elles soient malades ou saines. »
La Science en Chiffres
Au fil des ans, 8 prix Nobel ont été décernés pour des découvertes liées à la levure ; le premier remonte à 1907, pour la découverte des enzymes, et le plus récent, en 2016, pour des recherches sur l’autophagie, un processus par lequel les cellules recyclent leurs propres composants.