Nés prêts à affronter la pression

Nés prêts à affronter la pression

Les poissons résistants au stress sont nés ainsi ; leur système immunitaire révèle pourquoi.

Pourquoi certains soldats exposés au combat présentent-ils un syndrome de stress post-traumatique, alors que leurs camarades confrontés aux mêmes situations n’en souffrent pas ? Pourquoi certaines victimes de violence restent-elles marquées à vie, alors que d’autres sortent relativement indemnes d’expériences similaires ?

Ces différences fréquemment observées ont fasciné un large éventail de chercheurs scientifiques qui ont tenté de découvrir ce qui détermine la « résilience au stress », un terme qui décrit la capacité à s’adapter à des situations difficiles et à surmonter l’adversité. S’acquiert-elle par l’expérience ou la tendance à se remettre facilement du stress serait-elle ancrée en nous dès le plus jeune âge, voire dès la naissance ?

Une équipe de chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences a révélé une pièce importante de ce puzzle en étudiant le poisson zèbre, un petit poisson dont l’habitat naturel s’étend aux rivières, aux étangs et aux rizières du Pakistan, du Myanmar, du Népal et de l’Inde. Grâce à une analyse comportementale et moléculaire avancée et à l’édition de gènes sur des générations successives de poissons, les chercheurs ont découvert qu’une grande partie de la résistance au stress est un trait héréditaire qui est déterminé très tôt et reste constant tout au long de la vie du poisson.

« Pour savoir si la résilience au stress est une caractéristique que l’animal possède dès son plus jeune âge, il faut étudier de très jeunes sujets ayant le moins d’expérience de vie possible », explique le Dr Amrutha Swaminathan, qui a dirigé les expériences de la nouvelle étude dans le laboratoire du professeur Gil Levkowitz, au sein des Départements de Biologie Cellulaire Moléculaire et de Neurosciences Moléculaires de l’Institut Weizmann.

Dr. Amrutha Swaminathan (G) et Prof. Gil Levkowitz
Dr. Amrutha Swaminathan (G) et Prof. Gil Levkowitz

« Le poisson zèbre est un sujet exceptionnellement adapté pour l’exploration de ces questions, car il présente déjà des réponses claires au stress à l’état de larve, quelques heures seulement après l’éclosion d’œufs à fécondation externe », explique le Dr. Swaminathan. La réaction précoce du poisson-zèbre aux situations stressantes est essentielle à sa survie : les parents ne s’occupent pas de leurs petits, qui sont indépendants et agiles. Par conséquent, le comportement que les scientifiques observent chez leurs cobayes ne peut être le résultat de l’éducation, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de quelque chose qu’ils ont acquis en observant leurs parents.

Comme les poissons zèbres vivent en groupes dans des environnements d’eau douce, ils sont particulièrement sensibles à l’augmentation des facteurs de stress, parmi lesquels la salinité, l’isolement et le contact physique (par exemple, avec un prédateur potentiel), entre autres. Lorsque les scientifiques ont exposé temporairement des larves nouveau-nées (âgées de 6 jours) à l’un de ces facteurs de stress, les poissons ont manifesté des réactions de stress évidentes en guise de mécanismes de défense, notamment en diminuant leurs mouvements et en se figeant (en faisant le mort). Leur comportement s’est finalement normalisé, mais une minorité significative de 10 à 20 % a rebondi beaucoup plus vite que les autres, se comportant bientôt comme s’ils avaient une capacité supérieure de gestion du stress, explique le Prof. Levkowitz. Les scientifiques ont défini les « rebondisseurs rapides » comme étant résistants au stress, les autres comme y étant sensibles.

Les poissons zèbres non stressés, à gauche, présentent des mouvements normaux (tracés en rouge) lorsqu'ils explorent les différentes profondeurs d'un nouveau réservoir.

Les poissons zèbres non stressés, à gauche, présentent des mouvements normaux (tracés en rouge) lorsqu’ils explorent les différentes profondeurs d’un nouveau réservoir. Les poissons stressés, à droite, restent presque tous confinés au fond et à la moitié inférieure de l’aquarium.

Stresser à nouveau
Les groupes de jeunes poissons identifiés comme résilients et sensibles ont été élevés séparément. Les chercheurs les ont à nouveau exposés au stress quelques jours, voire quelques mois plus tard, et ont constaté que les individus résilients et sensibles le restaient tout au long de leur vie, du stade larvaire à l’âge adulte.
Ensuite, les chercheurs ont examiné la progéniture des poissons des deux groupes dans une série d’expériences. Les résultats étaient sans ambiguïté. « Dans l’ensemble, les descendants des parents résistants sélectionnés ont eu tendance à mieux gérer les situations stressantes que la population moyenne, et le contraire a été observé chez les descendants des parents sensibles. Il s’agit donc d’un trait héréditaire », déclare le prof. Levkowitz.

Immunité contre le stress
L’étude a ensuite été approfondie, afin de tenter de caractériser les mécanismes qui déterminent la résilience chez le poisson zèbre. Les chercheurs ont comparé le programme génétique activé dans tout le corps des poissons des deux groupes, résilients et sensibles, en réponse au stress. Ce programme était plus étendu chez les larves résistantes au stress : leurs niveaux d’expression d’environ 250 gènes ont diminué et ceux d’environ 100 gènes ont augmenté, ce qui suggère que la résilience au stress est un processus actif.

Lorsque les scientifiques ont examiné les gènes spécifiques impliqués dans les réponses au stress, ils ont été surpris. Ils s’attendaient à ce que les principaux changements dans l’expression génétique se produisent dans le cerveau, mais ils ont constaté que les larves résistantes et sensibles présentaient également des différences dans leur système immunitaire. Chez les larves résistantes, certains composants du système immunitaire étaient supprimées, notamment les protéines produites dans le foie et appartenant à la partie de l’immunité innée connue sous le nom de système du complément, qui marque les micro-organismes nuisibles dans notre corps et induit des réponses inflammatoires qui aident à combattre les infections.

« Nous avions été principalement orientés vers le cerveau, mais il s’avère que le foie est très impliqué dans la régulation de la réponse au stress », a déclaré le Prof. Levkowitz.

Si le fonctionnement normal du système du complément immunitaire est crucial pour combattre les infections, les résultats suggèrent que l’atténuation ou l’inhibition d’une réponse exagérée de ce système est bénéfique pour faire face aux adversités. Pour confirmer cette hypothèse, les chercheurs ont modifié l’ADN du poisson-zèbre par édition génétique. Ils ont produit des mutants de poisson zèbre dépourvus d’éléments cruciaux du système du complément. Comme ils l’avaient prévu, les mutants étaient beaucoup plus susceptibles de résister au stress que les poissons dotés d’un système du complément fonctionnel. « Nous ne comprenons toujours pas comment les facteurs du complément affectent la résilience. En revanche, nous savons que le stress influence le système immunitaire et que la réponse immunitaire a une incidence sur la fonction cérébrale et le comportement », déclare le Dr. Swaminathan.

Larve de poisson zébra vue au microscope

Larve de poisson zébra vue au microscope

Comme les poissons, comme les humains ?
Enfin, pour explorer les similitudes entre les réponses au stress des poissons et des humains, les scientifiques ont recherché des molécules précédemment liées à la résilience au stress chez les humains.
Ils ont examiné les effets sur les poissons du neuropeptide Y, un messager chimique dans le cerveau connu pour être lié à la résilience chez les humains. Ils ont constaté que les poissons dépourvus de neuropeptide Y étaient moins susceptibles d’être résilients que ceux qui présentaient des niveaux normaux. « Cela nous conforte dans l’idée que la façon dont nous testons la résilience chez les poissons est pertinente pour les humains », a déclaré le Prof. Levkowitz.

La première année de la pandémie COVID-19, qui s’est propagée à l’échelle mondiale en 2020, a été marquée par une augmentation d’au moins 25 % des troubles de la santé mentale, 50 % des adultes âgés de 18 à 49 ans ayant signalé des symptômes d’affections telles que l’anxiété et les troubles dépressifs.

Les résultats de l’étude pourraient permettre de mieux comprendre le rôle de la génétique dans la façon dont nous faisons face au stress et ouvrent de nouvelles voies de recherche sur l’interaction entre le stress et l’immunité chez les êtres humains. Elles pourraient également faciliter la recherche de biomarqueurs qui permettraient d’identifier les personnes sensibles, ce qui permettrait aux générations futures de mieux traiter le stress ou de s’y préparer de manière adaptée.

Une activation anormale du système du complément a déjà été mise en corrélation avec la dépression et l’anxiété chez l’homme, bien que ces études n’aient pas déterminé de causalité directe. « Au fur et à mesure que nous en apprenons davantage sur la façon dont la résilience au stress est déterminée, nous pourrons peut-être, à l’avenir, savoir à l’avance comment aider les gens en fonction de leur susceptibilité au stress à différentes étapes de leur vie », déclare le Dr. Swaminathan.



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