10 Déc Détection des graisses
Des chercheurs de l’Institut Weizmann révèlent que le système nerveux est capable de détecter les tissus adipeux et que le blocage de cette capacité protège les souris contre les troubles métaboliques.
Selon la croyance populaire, nos sens ne recueillent que des informations sur le monde extérieur, mais bon nombre de nos systèmes sensoriels surveillent également notre environnement interne, permettant ainsi à l’organisme de réguler ses propres fonctions. Dans une nouvelle étude publiée dans Cell Metabolism, des chercheurs du laboratoire du professeur Elazar Zelzer à l’Institut Weizmann des Sciences révèlent que nos cellules nerveuses détectent des stimuli mécaniques, tels que la pression et la tension, dans un endroit inattendu : le tissu adipeux de l’organisme. L’étude a également mis en évidence un lien surprenant entre la « perception des graisses » et l’obésité : des souris génétiquement modifiées pour être incapables de percevoir les changements mécaniques dans les tissus adipeux étaient résistantes à l’obésité et à d’autres troubles métaboliques, notamment la stéatose hépatique.

(g-d) Prof. Elazar Zelzer and Dr. Fabian S. Passini
Toutes les graisses présentes dans notre corps ne sont pas « mauvaises ». En fait, il existe trois principaux types de tissus adipeux : la graisse blanche, qui sert principalement à stocker l’énergie, mais qui est également associée à l’obésité et aux troubles métaboliques ; les cellules adipeuses brunes, qui brûlent les graisses et les sucres, nous gardent au chaud et veillent à ce que notre taux de glycémie reste bas ; et enfin, la graisse beige, qui est similaire à la graisse brune, mais qui reste inactive dans les tissus adipeux blancs jusqu’à ce qu’elle soit activée. Jusqu’à présent, on savait peu de choses sur le lien entre le système nerveux et les différents tissus adipeux. Les scientifiques comprenaient comment le système nerveux active les cellules adipeuses brunes en réponse à un stress, mais ils ne savaient pas ce qui supprime généralement leur fonction de combustion énergétique, ce qui conduit les souris – et les humains – à stocker les graisses au lieu de les brûler.
Dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont découvert que les cellules nerveuses sensorielles capables de détecter les forces mécaniques, telles que la pression et la tension, envoient leurs longues extensions (les axones) dans les tissus adipeux. Les scientifiques voulaient savoir si cette détection jouait un rôle dans la régulation de l’activité de la graisse brune. « Nous avons développé un modèle murin dans lequel ces cellules nerveuses sont absentes », explique le Dr Fabian S. Passini, directeur de l’étude, du laboratoire du Prof. Zelzer au Département de Génétique Moléculaire de Weizmann. « En élevant ces souris génétiquement modifiées, nous avons remarqué qu’elles accumulaient moins de graisse que le groupe témoin, même si elles avaient le même régime alimentaire et étaient moins actives. Nous avons constaté une diminution du pourcentage de graisse corporelle, une baisse du taux de sucre dans le sang et une augmentation de la sensibilité à l’insuline chez ces souris ; c’était le profil métabolique dont tout le monde rêve. Cette découverte nous a amenés à émettre l’hypothèse que les cellules sensorielles jouent un rôle dans la suppression routinière de l’activité de la graisse brune et que, en leur absence, la combustion d’énergie dans l’organisme s’accélère. »
Les chercheurs ont découvert que pour remplir leur fonction, les cellules nerveuses présentes dans les tissus adipeux s’appuient sur un capteur bien connu appelé Piezo2, capable de surveiller les changements mécaniques. Lors de la phase suivante de l’étude, les scientifiques ont sélectivement désactivé ce capteur et ont constaté que les souris restaient minces, avec des indicateurs métaboliques améliorés. De plus, les souris dépourvues de Piezo2 se sont également révélées « immunisées » contre l’obésité, même après avoir été nourries avec un régime riche en graisses.

Les cellules nerveuses sensorielles révélées dans l’étude étendent leurs longues fibres depuis la colonne vertébrale de la souris (à droite) jusqu’aux tissus adipeux bruns (à gauche).
L’équipe a ensuite vérifié si la suppression de Piezo2 réduisait le risque de troubles métaboliques liés à l’obésité. Chez la souris comme chez l’homme, l’obésité s’accompagne souvent d’une stéatose hépatique, une maladie dans laquelle l’accumulation de graisse dans le foie entraîne à terme une inflammation et des balafres. Mais chez les souris dépourvues de Piezo2, aucune accumulation de gouttelettes de graisse n’a été observée dans le foie et aucun signe de stéatose hépatique n’est apparu, même lorsqu’elles ont été soumises à un régime riche en graisses.
Malgré une consommation importante de graisses pendant plusieurs mois, ces souris sont restées sensibles à l’insuline.
« Jusqu’à présent, nous connaissions bien l’accélérateur du système nerveux, qui est responsable de l’activation de la graisse brune et beige », explique le Prof. Zelzer. « Mais au final, nous stockons les graisses au lieu de brûler toutes nos ressources énergétiques, ce qui suggérait qu’il devait également exister un frein qui supprime le métabolisme. »
Dans notre nouvelle étude, nous avons identifié que ce frein est en fait constitué de cellules nerveuses équipées du capteur Piezo2, qui surveillent les changements mécaniques dans la graisse brune et beige. » Les chercheurs ne savent pas encore quels changements mécaniques les capteurs présents dans les tissus adipeux détectent, mais il est important de reconnaître que, bien qu’ils soient généralement perçus comme passifs, les tissus adipeux sont en réalité dynamiques et leur rigidité peut varier en fonction du niveau d’activité dans les tissus.
« Il est difficile de comprendre que, tout comme nous percevons nos muscles et nos os, nous pouvons également percevoir les tissus adipeux de notre corps et ajuster notre consommation d’énergie en conséquence, mais c’est précisément ce que nous avons démontré chez la souris », explique le Prof. Zelzer. « On sait depuis longtemps que la graisse affecte l’équilibre énergétique du corps, mais les recherches précédentes se concentraient principalement sur les hormones sécrétées par les tissus adipeux, telles que la leptine. En revanche, la détection neuronale des tissus adipeux est beaucoup plus rapide et immédiate. Plus de la moitié (54 %) des adultes dans les pays de l’OCDE sont en surpoids ou obèses. En comprenant les cellules qui détectent les tissus adipeux, nous pourrions être en mesure de les influencer de manière à lutter contre l’obésité et les problèmes de santé qui y sont associés. »
La Science en Chiffres
Le maintien de la température corporelle représente 10 à 15 % de notre dépense énergétique quotidienne.