 
						31 Oct Protéger toujours et partout la recherche scientifique contre l’obscurantisme
Par Jean-Luc Teillaud
Tribune libre d’un chercheur
Savez-vous où les cellules CAR-T (chimeric antigen receptor T cells) utilisées pour le traitement de certaines leucémies et testées pour le traitement de différentes tumeurs solides et de maladies auto- immunes graves ont été initialement conçues par Zelig Eshhar (1941-2025) ? Savez-vous où l’analyse cristallographique de sous-unités des ribosomes bactériens a été réalisée pour la première fois par Ada Yonath, ce qui a valu à cette dernière de parta- ger le prix Nobel de chimie en 2009 avec ses collègues américains Thomas Steitz (1940-2018) et Venkatra- man Ramakrishnan ? Savez-vous où le gène codant la protéine TP53 a été cloné et caractérisé comme gène suppresseur de tumeurs par David Givol, Moshé Oren et Varda Rotter ? Et savez-vous où sont menés actuellement des travaux de haut niveau en cancé- rologie, en immunologie, en neurologie, en génétique moléculaire, en biologie structurale…, s’appuyant sur des plateformes d’imagerie, de spectrométrie, de séquençage… ?
À l’institut Weizmann des sciences1 à Rehovot en Israël, que quelques-uns d’entre nous connaissent pour avoir participé à des conférences de haut niveau tenues sur son campus, pour y avoir développé des collaborations avec certains de nos collègues y travaillant, ou pour y avoir été accueillis pour mener des travaux de recherche.
Mais nombre de nos collègues de l’institut Weizmann n’ont désormais plus de laboratoires ! Ceux-ci ont été détruits par deux missiles iraniens dans la nuit du 14 au 15 juin 2025, heureusement sans faire de victimes parmi eux. C’est par exemple le cas des laboratoires de Jacob Hanna, un des pionniers des études sur les cellules souches et le développement embryonnaire humain [1], d’Eldad Tzahor, un spécia- liste de la biologie cardiaque [2], et d’Oren Schuldi- ner, un neurobiologiste du développement [3], dont une partie des travaux est fondée sur l’utilisation de mouches drosophiles transgéniques dont des cen- taines, créées au fil des années, ont été perdues. Ce bombardement a également détruit une partie des plateformes techniques qui, comme nous le savons, sont devenues essentielles aux travaux des uns et des autres, et a endommagé les bâtiments autour de la zone d’impact, notamment ceux où vivent des scientifiques travaillant à l’institut et leurs familles.
Au fait, il s’agit bien de laboratoires de sciences de la vie, créés et animés par des collègues qui, comme nous, sont animés par ce désir toujours renouvelé de poursuivre leur quête de connaissances des mécanismes intimes de celle-là, et non par une volonté d’éra- dication. D’ailleurs, ce mot précieux, vie, nous l’avons entendu dans les bouches courageuses, iraniennes, de celles qui donnent la vie, « femmes, vie, liberté ». Ce mot vie se doit d’être entendu par tous et partout. En ces temps difficiles où la science est attaquée de tous côtés, au sens propre comme au sens figuré, par des forces obscurantistes, disons notre solidarité, d’une façon ou d’une autre, à nos collègues chercheurs de l’institut Weizmann, car rien n’est plus terrible que l’indifférence et le silence.
 
									 
									