(g-d) Dr. Omer Kneller, Prof. Nirit Dudovich, Chen Mor and Noa Yaffe

La matière à la croisée des chemins

Une nouvelle méthode de l’Institut Weizmann révèle comment les lasers peuvent instantanément modifier les propriétés de la matière.

Transformer instantanément un matériau d’opaque en transparent, ou de conducteur en isolant, n’est plus de la science-fiction. Depuis plusieurs années, les scientifiques utilisent des lasers pour contrôler les propriétés de la matière à des vitesses extrêmement rapides : pendant un cycle optique d’une onde lumineuse. Mais comme ces changements se produisent à l’échelle de l’attoseconde – un milliardième de milliardième de seconde – il est extrêmement difficile de comprendre comment ils se déroulent. Dans une nouvelle étude publiée dans Nature Photonics, l’équipe du professeur Nirit Dudovich de l’Institut Weizmann des Sciences présente une méthode innovante pour suivre ces changements rapides de la matière. Cette avancée dans la science de l’attoseconde, l’étude des phénomènes les plus rapides de la nature, pourrait avoir de nombreuses applications futures, ouvrant la voie à des communications et à des calculs ultrarapides.


(g-d) Dr. Omer Kneller, Prof. Nirit Dudovich, Chen Mor and Noa Yaffe
(g-d) Dr. Omer Kneller, Prof. Nirit Dudovich, Chen Mor and Noa Yaffe

Si vous avez déjà vu un arc-en-ciel, vous avez vu une démonstration pratique de la façon dont la lumière ralentit et est réfractée lorsqu’elle traverse la matière, en l’occurrence, les gouttes de pluie. La lumière du soleil est composée d’un large spectre de couleurs, chacune d’entre elles subissant un retard différent lorsqu’elle traverse les gouttelettes. Ces différences provoquent la séparation des couleurs, produisant un arc-en-ciel rayonnant. Nous avons tendance à penser que la matière telle que le verre ou l’eau réfracte la lumière de manière statique. Cependant, des chercheurs de laboratoires d’optique de pointe du monde entier ont découvert qu’un laser puissant peut modifier les propriétés de réfraction de la matière, c’est-à-dire changer sur des échelles de temps extrêmement courtes l’importance du ralentissement de la lumière par la matière qu’elle traverse. Les chercheurs de l’Institut Weizmann ont émis l’hypothèse que s’ils pouvaient mesurer les subtils changements induits par le laser sur le retard subi par la lumière, ils seraient en mesure de comprendre comment des lasers puissants peuvent modifier les propriétés de la matière si rapidement.

Le développement de cette nouvelle méthode de mesure a été mené par trois étudiants chercheurs – Omer Kneller, Chen Mor et Noa Yaffe – du laboratoire du Prof. Dudovich au Département de Physique des Systèmes Complexes de l’Institut Weizmann. La méthode utilise deux faisceaux laser. Le premier est très puissant, composé d’impulsions relativement longues, qui modifient le retard optique subi par la lumière dans un matériau donné. L’autre, de faible intensité donc ne modifiant pas les propriétés du matériau traversé, émet des impulsions attoseconde extrêmement courtes et fonctionne comme une sorte de caméra vidéo au ralenti. Ces impulsions attoseconde sont elles-mêmes séparées en deux faisceaux: l’un circule dans le vide ; il n’interagit donc pas avec le matériau, et sert de référence . L’autre traverse le matériau, interagit avec lui et subit un retards de quelques attosecondes induit par cette interaction. Lorsque les deux aisceaux de faible intensité sont finalement réunis et interfèrent l’une avec l’autre, cette interférence permet aux chercheurs de reconstruire avec précision le changement du délai optique subi par la lumière lors de son passage à travers le matériau.


Waze Quantique et ordinateurs ultra-rapides

En mécanique quantique, les propriétés d’un matériau sont déterminées par ses niveaux d’énergie, qui forment une sorte d’échelle énergétique. Les électrons peuvent monter ou descendre cette échelle en gagnant ou en perdant exactement la bonne quantité d’énergie. Un laser puissant modifie cette échelle en modifiant l’emplacement de ses niveaux ; il peut faire en sorte que deux niveaux ne fassent plus qu’un ou il peut diviser un seul niveau en deux.

Tout comme les applications de navigation telles que Waze peuvent prédire la durée d’un trajet d’un point A à un point B via un itinéraire donné, la nouvelle méthode reconstitue le trajet qu’un électron a parcouru entre les différents niveaux d’énergie en mesurant le retard subi par les impulsions attosecondes. L’analyse du parcours de l’électron permet aux chercheurs de comprendre comment les niveaux d’énergie d’un matériau ont changé en réponse au laser. Au début, les scientifiques ont utilisé cette méthode pour comprendre comment le laser modifiait les propriétés d’atomes individuels. Cependant, ils ont également présenté des calculs théoriques montrant que leur nouvelle méthode pouvait être utilisée pour révéler l’interaction entre la lumière et des matériaux plus complexes.

Le Dr Omer Kneller (à gauche) et Chen Mor dirigent un faisceau laser avant qu'il n'entre dans le dispositif expérimental. L'expérience nécessitait un faisceau laser puissant capable de produire des impulsions lumineuses d'une durée exceptionnellement courte, de l'ordre de l'attoseconde. Photo : Noa Yaffe
Le Dr Omer Kneller (à gauche) et Chen Mor dirigent un faisceau laser avant qu’il n’entre dans le dispositif expérimental. L’expérience nécessitait un faisceau laser puissant capable de produire des impulsions lumineuses d’une durée exceptionnellement courte, de l’ordre de l’attoseconde. Photo : Noa Yaffe

« Une fois que nous pourrons suivre les « voyages » d’électrons isolés entre les niveaux d’énergie, nous pourrons utiliser la lumière pour contrôler les propriétés d’un matériau de manière délibérée et précise, en quelques centaines voire quelques dizaines d’attosecondes », explique le Prof. Dudovich. « Cette capacité pourrait conduire au développement des processeurs les plus rapides possibles, ce qui augmenterait considérablement la vitesse de transmission ou de traitement des données. Notre nouvelle méthode a également des retombées pour la recherche fondamentale : nous espérons qu’elle nous aidera à créer des instantanés d’électrons en mouvement, révélant une variété de phénomènes quantiques jusqu’alors inaccessibles. »


La Science en Chiffres

La lumière met environ 1 seconde pour aller de la Terre à la Lune ; elle traverse un atome d’hydrogène en 1 attoseconde, soit un milliardième de milliardième de seconde



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