Sur la voie de la construction de meilleures batteries

Sur la voie de la construction de meilleures batteries

Les chercheurs de Weizmann démêlent les minuscules brins de lithium qui se développent à l’intérieur des piles rechargeables, limitent leur utilisation et constituent un grave risque d’incendie.

Lorsque nous branchons nos téléphones portables pour les recharger, nous tenons pour acquis qu’ils déborderont bientôt d’énergie pour faire défiler les pages, envoyer des SMS et recevoir des alertes. Or, la technologie qui permet de le faire – les batteries lithium-ion rechargeables – a annoncé une véritable révolution technologique lorsque ces batteries sont apparues sur la scène commerciale dans les années 1990, et elles ont valu à leurs concepteurs le prix Nobel de chimie en 2019. Sans cette innovation, nos smartphones, nos écouteurs sans fil et nos véhicules électriques seraient irréalisables tant sur le plan environnemental qu’économique.

(g-d) Prof. Michal Leskes and Dr. Ayan Maity
(g-d) Prof. Michal Leskes and Dr. Ayan Maity

La vitesse à laquelle la technologie progresse exige des piles plus puissantes et plus sûres, mais leur mise au point n’est pas une tâche facile. Les piles au lithium métal, par exemple, pourraient à l’avenir fournir beaucoup plus d’énergie que celles qui sont couramment utilisées aujourd’hui, mais elles posent également un défi de taille : lors de chaque charge, de minuscules fils appelés dendrites se forment à l’intérieur. Lorsque les dendrites s’accumulent, elles peuvent créer des ponts métalliques à l’intérieur de la batterie, permettant un transfert incontrôlé d’électrons susceptible de ruiner la batterie et, plus inquiétant encore, de créer un risque d’incendie. Jusqu’à présent, les chercheurs ne disposaient que de techniques limitées pour caractériser la formation des dendrites. Dans une nouvelle étude entreprise dans le laboratoire du professeur Michal Leskes, du Département de Chimie Moléculaire et des Sciences des Matériaux de l’Institut Weizmann des Sciences, des chercheurs dirigés par le Dr Ayan Maity ont mis au point une technique innovante qui leur permet non seulement d’identifier ce qui, dans la batterie, affecte l’accumulation de dendrites, mais aussi d’inspecter rapidement l’efficacité et la sécurité des composants alternatifs de la batterie.

Les piles rechargeables fonctionnent en permettant aux ions chargés positivement de se déplacer de l’électrode négative (l’anode) vers l’électrode positive (la cathode) à travers une substance conductrice d’électricité appelée électrolyte. Lorsque la batterie est en cours de charge, les ions retournent à l’anode – contrairement à ce qui se produit naturellement lors d’une réaction chimique – ce qui prépare la batterie à une utilisation répétée. Les batteries au lithium métal sont innovantes dans la mesure où leurs anodes sont constituées de lithium métal pur, ce qui leur permet de stocker de grandes quantités d’énergie. Le problème est que le lithium métal est très actif chimiquement et qu’il interagit avec tous les matériaux qu’il rencontre. Ainsi, lorsqu’il interagit avec l’électrolyte, des dendrites sont rapidement créées dans des quantités qui mettent en danger l’utilisateur et la santé de la batterie.

Le risque d’incendie peut être évité en remplaçant l’électrolyte liquide et inflammable de la batterie par un matériau solide et ininflammable, tel qu’un composite de polymères et de particules de céramique. L’équilibre entre ces deux composants influe considérablement sur la formation de dendrites, mais le principal défi consiste à trouver la composition idéale pour prolonger la durée de vie des batteries.

Dendrites qui se sont développées dans une batterie étain, vues au microscope électronique. Source : Shakked Schwartz et Ayan Maity
Dendrites qui se sont développées dans une batterie étain, vues au microscope électronique. Source : Shakked Schwartz et Ayan Maity

L’équipe de recherche a décidé de répondre à cette question en utilisant la spectroscopie par résonance magnétique nucléaire (RMN) – une technique reconnue pour révéler la structure chimique des matériaux – qui leur a permis de suivre le développement des dendrites et d’identifier les interactions chimiques au sein de l’électrolyte. «Lorsque nous avons examiné les dendrites dans des batteries présentant différents ratios de polymère et de céramique, nous avons trouvé une sorte de « ratio d’or » : Les électrolytes composés à 40 % de céramique avaient les durées de vie les plus longues », explique le Prof. Leskes. « Lorsque nous avons dépassé 40 % de céramique, nous avons rencontré des problèmes structurels et fonctionnels qui ont entravé les performances de la batterie, tandis que moins de 40 % ont entraîné une réduction de la durée de vie de la batterie ». Il est toutefois surprenant de constater que dans les piles les plus performantes, le nombre de dendrites a augmenté, mais que leur croissance a été bloquée et qu’elles ont formé moins de ces ponts dangereux.

Ces résultats ont amené les chercheurs à se poser la question à un million de dollars, qui pourrait valoir bien plus en termes d’applications commerciales : Qu’est-ce qui bloque la croissance des dendrites ? Les chercheurs ont émis l’hypothèse que la réponse se trouvait dans une fine couche à la surface des dendrites, connue sous le nom d’interphase électrolytique solide ou SEI. La couche SEI, qui se forme lorsque les dendrites réagissent avec l’électrolyte, peut être composée de diverses substances qui ont un effet positif ou négatif sur la batterie. Par exemple, la composition chimique de la couche SEI peut entraver ou améliorer le mouvement des ions lithium le long de la batterie et bloquer ou faciliter le mouvement des matériaux nocifs de l’anode  vers la cathode, ce qui à son tour peut entraver ou accélérer le développement des dendrites.

Pour caractériser les couches SEI, les chercheurs ont dû penser « en dehors de la batterie ». Comme ces couches sont composées de quelques dizaines de nanomètres d’atomes seulement, les signaux captés par la RMN sont assez faibles. Pour renforcer ces signaux, les chercheurs ont eu recours à une technique rarement utilisée dans l’étude des piles : l’amélioration de la RMN au moyen d’une polarisation nucléaire dynamique.

Un morceau de lithium métal s'apprête à devenir une électrode de batterie Un morceau de lithium métal s’apprête à devenir une électrode de batterie

Cette technique utilise le fort spin des électrons polarisés du lithium, qui envoient des signaux puissants qui intensifient les signaux émis par les noyaux atomiques de la couche SEI. Grâce à cette technique, les chercheurs ont pu révéler la composition chimique précise de la couche SEI, ce qui leur a permis de découvrir les interactions qui se produisent entre le lithium et les différentes structures de l’électrolyte. Ils ont ainsi pu déterminer si une dendrite s’était développée lors de l’interaction du lithium avec le polymère ou avec la céramique. Cela a également conduit à la découverte surprenante que les couches SEI créées sur les dendrites rendent parfois le transfert d’ions dans l’électrolyte plus efficace tout en bloquant les substances dangereuses

Les résultats de l’étude fournissent de nouvelles informations qui pourraient être utilisées pour développer des batteries plus robustes, plus résistantes et plus sûres, capables de fournir plus d’énergie à un coût environnemental et économique moindre. Ces futures batteries pourront alimenter des appareils plus grands et plus intelligents sans avoir à augmenter la taille de la batterie, tout en prolongeant sa durée de vie.

« L’une des choses que j’aime le plus dans cette étude est que, sans une profonde compréhension scientifique de la physique fondamentale, nous n’aurions pas été en mesure de comprendre ce qui se passe à l’intérieur d’une batterie. Notre processus est tout à fait typique du travail effectué ici à l’Institut Weizmann. Nous sommes partis d’une question purement scientifique qui n’avait rien à voir avec les dendrites, et cela nous a conduits à une étude avec des applications pratiques qui pourraient améliorer la vie de tout le monde », explique le Prof. Leskes.

 

La Science en Chiffres

La couche SEI d’une batterie n’a pas plus de 5 à 50 nanomètres d’épaisseur, soit environ 1/1000 de l’épaisseur d’un cheveu humain, mais elle contient des structures chimiques complexes. En utilisant la spectroscopie RMN, il aurait fallu des années pour comprendre la composition chimique de la couche SEI, mais en utilisant la polarisation nucléaire dynamique, la tâche a été accomplie en quelques heures seulement.



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