03 Mar Fourmis contre humains : L’intelligence de groupe à l’épreuve
La coopération a mieux fonctionné pour les fourmis que pour les humains dans une expérience de l’Institut Weizmann.
Quiconque a déjà eu affaire à des fourmis dans sa cuisine sait que les fourmis sont des créatures très sociales ; il est rare d’en voir une seule. Les humains sont eux aussi des créatures sociales, même si certains d’entre nous apprécient la solitude. Les fourmis et les humains sont également les seules créatures de la nature qui coopèrent systématiquement pour transporter de grandes charges qui dépassent largement leurs propres dimensions. Le professeur Ofer Feinerman et son équipe de l’Institut Weizmann des Sciences ont utilisé cette caractéristique commune pour mener une compétition évolutionnaire fascinante qui pose la question suivante : Qui sera le meilleur pour manœuvrer une grosse charge dans un labyrinthe ? Les résultats surprenants, publiés dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), jettent un nouvel éclairage sur la prise de décision en groupe, ainsi que sur les avantages et les inconvénients de la coopération par rapport à l’autonomie.
Pour permettre une comparaison entre deux espèces aussi disparates, l’équipe de recherche dirigée par Tabea Dreyer a créé une version réelle du « puzzle des déménageurs de piano », un problème informatique classique dans les domaines de la planification des mouvements et de la robotique, qui traite des différentes façons de déplacer un objet de forme inhabituelle – par exemple un piano – d’un point A à un point B dans un environnement complexe. Au lieu d’un piano, les participants ont reçu un grand objet en forme de T qu’ils devaient manœuvrer dans un espace rectangulaire divisé en trois chambres reliées par deux fentes étroites.
Les chercheurs ont créé deux séries de labyrinthes qui ne différaient que par leur taille, afin de correspondre aux dimensions des fourmis et des humains, ainsi qu’à des groupes de taille différente. Le recrutement des participants à l’étude a été plus facile dans le cas des humains, qui se sont portés volontaires simplement parce qu’on leur a demandé de participer, et probablement parce qu’ils aimaient l’idée d’une compétition. Les fourmis, en revanche, sont loin d’être compétitives. Elles se sont portées volontaires parce qu’on leur a fait croire que la lourde charge était un morceau juteux et comestible qu’elles transportaient dans leur nid.
(l-r) Tabea Dreyer and Prof. Ofer Feinerman
Les fourmis choisies pour affronter l’Homo sapiens étaient les Paratrechina longicornis. Elles sont appelées ainsi en raison de leurs longues antennes, bien qu’elles soient parfois appelées « fourmis folles » en raison de leur tendance à se précipiter. Cette espèce familière de fourmi noire, d’environ 3 mm de long, est commune dans le monde entier. En Israël, elles sont particulièrement présentes le long de la côte et dans le sud du pays.
Les fourmis ont relevé le défi du labyrinthe en trois combinaisons : une seule fourmi, un petit groupe d’environ sept fourmis et un grand groupe d’environ 80 fourmis. Les humains ont effectué la tâche dans trois combinaisons parallèles : une seule personne, un petit groupe de six à neuf individus et un grand groupe de 26 personnes. Pour que la comparaison soit aussi significative que possible, les groupes d’humains ont parfois reçu l’instruction d’éviter de communiquer par la parole ou par des gestes, voire de porter des masques chirurgicaux et des lunettes de soleil pour dissimuler leur bouche et leurs yeux. En outre, les participants humains devaient tenir la charge uniquement par les poignées qui simulaient la façon dont elle est tenue par les fourmis. Les poignées contenaient des compteurs qui mesuraient la force de traction appliquée par chaque personne tout au long de la tentative. Les chercheurs ont répété l’expérience de nombreuses fois pour chaque combinaison, puis ont analysé méticuleusement les vidéos et toutes les données de suivi avancées en utilisant des simulations informatiques et divers modèles physiques.
Les fourmis et les humains s’affrontent pour manœuvrer une charge en forme de T dans un labyrinthe
Sans surprise, les capacités cognitives des humains leur ont donné l’avantage dans le défi individuel, dans lequel ils ont eu recours à une planification calculée et stratégique, surpassant facilement les fourmis. En revanche, dans le défi collectif, la situation était totalement différente, en particulier pour les groupes les plus importants. Non seulement les groupes de fourmis ont obtenu de meilleurs résultats que les fourmis individuelles, mais dans certains cas, ils ont fait mieux que les humains. Les groupes de fourmis ont agi ensemble de manière calculée et stratégique, en faisant preuve d’une mémoire collective qui les a aidées à persister dans une direction particulière et à éviter les erreurs répétées. Les humains, au contraire, n’ont pas réussi à améliorer de manière significative leurs performances lorsqu’ils agissaient en groupe. Lorsque la communication entre les membres d’un groupe est restreinte pour ressembler à celle des fourmis, leurs performances chutent même par rapport à celles des individus. Ils avaient tendance à opter pour des solutions « gourmandes » – qui semblaient attrayantes à court terme mais n’étaient pas bénéfiques à long terme – et, selon les chercheurs, à opter pour le plus petit dénominateur commun.
« Une colonie de fourmis est en fait une famille », explique le Prof. Feinerman. « Toutes les fourmis du nid sont sœurs et ont des intérêts communs. C’est une société très soudée dans laquelle la coopération l’emporte largement sur la compétition. C’est pourquoi une colonie de fourmis est parfois considérée comme un super-organisme, une sorte de corps vivant composé de multiples « cellules » qui coopèrent les unes avec les autres. Nos résultats valident cette vision. Nous avons montré que les fourmis qui agissent en groupe sont plus intelligentes, que pour elles le tout est plus grand que la somme des parties. En revanche, la formation de groupes n’a pas augmenté les capacités cognitives des humains. La fameuse « sagesse des foules », devenue si populaire à l’ère des réseaux sociaux, ne s’est pas manifestée dans nos expériences ».
La Science en Chiffres
Il existe environ 15 000 espèces de fourmis sur Terre, qui vivent toutes en grandes colonies. Environ 1 % de ces espèces coopèrent pour transporter des charges lourdes.