Vers un traitement de la maladie de Huntington

Vers un traitement de la maladie de Huntington

Des scientifiques de l’Institut Weizmann ont découvert deux petites molécules capables de traverser la barrière hémato-encéphalique chez la souris, ralentissant et même inversant les effets de la maladie de Huntington, qui est actuellement incurable.

Le cerveau humain est un centre de contrôle bien gardé. Son système de vaisseaux sanguins est entouré d’une barrière cellulaire très dense- la barrière hémato-encéphalique – qui empêche la plupart des substances d’y pénétrer ou d’en sortir. Cette architecture fortifiée protège le cerveau, mais elle peut aussi l’empêcher d’obtenir de l’aide lorsqu’il en a besoin, par exemple dans le cas d’une maladie neurodégénérative.

Dans une nouvelle étude, publiée dans EMBO Molecular Medicine, le professeur Rivka Dikstein, de l’Institut Weizmann des Sciences, et son équipe ont identifié deux petites molécules qui parviennent à traverser la barrière hémato-encéphalique et à réduire les niveaux d’une protéine défectueuse à l’origine de la maladie de Huntington, une affection neurodégénérative actuellement incurable. Les nouveaux médicaments ont non seulement ralenti la progression de la maladie chez des modèles de souris, mais ils ont même inversé certains de ses symptômes.

Les signes et symptômes de la maladie de Huntington – légers mouvements involontaires, maladresse générale et anxiété accrue – apparaissent le plus souvent vers l’âge de 40 ans. La maladie évolue avec le temps et conduit inévitablement à la mort. Elle est causée par la répétition excessive, 36 fois ou plus, d’un segment d’ADN dans le gène de la huntingtine. Les personnes atteintes de la maladie de Huntington ont généralement une copie fonctionnelle du gène de la huntingtine et une copie défectueuse, ce qui entraîne la création de protéines défectueuses qui s’agglutinent, formant un résidu toxique dans le cerveau. Ce résidu s’accumule et nuit au cerveau de plusieurs façons, en provoquant des inflammations, en contrariant l’expression de gènes essentiels à la survie des cellules nerveuses et en endommageant les centrales énergétiques cellulaires appelées mitochondries. Les efforts précédents pour traiter chaque mécanisme séparément n’ont pas été suffisamment efficaces, tandis que les médicaments visant à s’attaquer à la racine du problème – la protéine de huntingtine défectueuse elle-même – ont eu du mal à distinguer la protéine défectueuse de la protéine normale.

 

(de gauche à droite) Dr Benjamin Weiss, Prof. Rivka Dikstein, Dr Anat Bahat et Elad Itzhaki
(de gauche à droite) Dr Benjamin Weiss, Prof. Rivka Dikstein, Dr Anat Bahat et Elad Itzhaki

Une lueur d’espoir a été découverte en 2019 par le Dr Anat Bahat, chercheur dans le laboratoire du professeur  Rivka Dikstein au sein du Département des Sciences Biomoléculaires de Weizmann. Depuis des années, le laboratoire mène des recherches fondamentales sur la protéine régulatrice Spt5, une grande protéine dotée de nombreux segments fonctionnels qui contribue à la production de molécules d’ARN messager et joue un rôle particulièrement important dans la production de protéines impliquées dans l’inflammation. Le docteur Bahat et ses collègues ont découvert que plusieurs petites molécules peuvent inhiber certaines fonctions de la Spt5 sans causer de dommages significatifs aux autres fonctions de la protéine. Les chercheurs ont ensuite trouvé trois petites molécules qui inhibent spécifiquement l’expression de la huntingtine mutante sans nuire à l’expression de la huntingtine normale et d’autres protéines liées à l’inflammation.

Dans la nouvelle étude, le docteur Bahat a dirigé une équipe de chercheurs qui a examiné 17 molécules ayant des structures chimiques similaires à celles qui s’étaient révélées efficaces dans l’étude précédente, dans l’espoir d’identifier les inhibiteurs les plus efficaces de l’expression de la huntingtine mutante. En utilisant des cultures cellulaires d’un modèle murin de la maladie de Huntington, les chercheurs ont identifié les deux molécules les plus efficaces. Ils ont ensuite testé les nouvelles molécules sur des cultures cellulaires de patients humains présentant divers degrés d’anomalie génétique et ont constaté dans tous les cas une baisse significative de la quantité de protéine mutante. Dans le même temps, ils n’ont constaté aucune diminution de l’expression de la protéine non mutante, ce qui prouve que les nouvelles molécules font leur travail avec une grande précision.

L’étape suivante de l’étude a consisté à tester les deux molécules sélectionnées sur des souris génétiquement modifiées exprimant une version humaine complète du gène mutant de la huntingtine. Dans un premier temps, les souris ont été traitées à un âge avancé, alors qu’elles présentaient déjà des signes évidents de la maladie, au moyen d’une perfusion administrée directement dans la partie endommagée du cerveau pendant quatre semaines. Le traitement a permis de réduire l’expression de la copie mutante du gène et d’augmenter la proportion des protéines saines pertinentes dans la zone endommagée du cerveau.

Le traitement a également permis d’atténuer certains des dommages causés par la maladie. Il a augmenté l’expression de deux gènes qui sont habituellement endommagés au fur et à mesure que la maladie progresse :l’un est un facteur de croissance essentiel à la survie des cellules nerveuses, et l’autre appartient à la mitochondrie. « Même si le modèle de souris âgée simulait la maladie à un stade avancé », explique le docteur Bahat, « le traitement a réussi à faire reculer les aiguilles du temps dans une certaine mesure. Dans les études comportementales, nous avons observé une réduction des niveaux d’anxiété et une amélioration de l’équilibre et de la coordination chez les souris traitées ».

 

(de gauche à droite) Prof. Rivka Dikstein et Dr. Anat Bahat
(de gauche à droite) Prof. Rivka Dikstein et Dr. Anat Bahat

Cependant, l’administration d’une perfusion directement dans la zone endommagée du cerveau nécessite une procédure chirurgicale complexe qui est à la fois risquée et douloureuse pour les patients. Les chercheurs ont donc cherché à déterminer si le médicament serait efficace s’il était administré sous forme de pilule ou par injection sous-cutanée. Ils ont été ravis de découvrir que ces méthodes alternatives permettaient également de réduire les niveaux de huntingtine mutante dans le cerveau des souris et que les molécules parvenaient à parcourir le long trajet de la bouche ou de la peau jusqu’au cerveau sans subir de changement significatif. Leurs caractéristiques physico-chimiques et structurales leur permettent de franchir la barrière hémato-encéphalique et de pénétrer directement dans la zone malade une fois arrivées à destination.

L’une de ces petites molécules a démontré un effet curatif à des doses particulièrement faibles – une propriété importante pour un médicament destiné à l’usage humain. L’inconvénient de cette molécule est qu’elle a un effet sur plus de 1 000 autres gènes. La seconde molécule nécessitait des doses plus élevées, mais s’est avérée être une arme relativement précise : elle a réduit l’expression du gène mutant sans provoquer d’effets secondaires ni de changements généralisés sur d’autres gènes.

Dans la dernière partie de l’étude, les chercheurs ont examiné les effets du traitement administré par voie orale pendant deux mois, au stade précoce où les premiers signes de la maladie commençaient à peine à apparaître. Toutes les souris malades présentaient des niveaux élevés d’anxiété avant le début de l’expérience, mais pour celles qui ont reçu le traitement, l’anxiété est revenue à des niveaux normaux. Au fil du temps, la perte d’équilibre et l’hyperactivité des souris malades du groupe témoin se sont aggravées, alors que les souris traitées présentaient des troubles de l’équilibre moins importants et ne souffraient pas d’hyperactivité. Ces résultats, associés à d’autres tests, indiquent que les nouveaux médicaments retardent la progression de la maladie, même lorsqu’ils sont administrés à un stade précoce.

« Nous avons été ravis de constater que les petites molécules parvenaient à atteindre le cerveau sans subir de modifications et sans se désintégrer en cours de route », explique le professeur  Dikstein. « Alors que d’autres traitements expérimentaux nécessitent des interventions chirurgicales répétées au niveau du cerveau ou de la colonne vertébrale, ces molécules, administrées par voie orale ou par injection, pourraient ouvrir la voie à un traitement efficace et sûr de la maladie de Huntington. Ces dernières années, il est apparu clairement qu’une fonction particulière des grandes protéines régulatrices pouvait être ciblée avec précision à l’aide de minuscules molécules, sans nuire au fonctionnement général de ces protéines. Cette compréhension pourrait jeter les bases de nouveaux traitements pour toute une série de maladies ».

 

La Science en Chiffres
Des études montrent que 98 % de toutes les petites molécules ne peuvent pas traverser la barrière hémato-encéphalique.



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