Cent millions de soleils : le portrait le plus complet d'une supernova

Cent millions de soleils : le portrait le plus complet d’une supernova

Les scientifiques de l’Institut Weizmann cartographient les données d’une explosion unique dans l’histoire de l’humanité.

L’humanité se tourne depuis longtemps vers le ciel en quête de réponses. Les récits de supernova – explosion d’étoiles – remontent à des milliers d’années, mais si nous savons aujourd’hui que ces événements créent les éléments constitutifs de la vie elle-même, les conditions à l’origine de l’explosion d’une étoile restent encore très mystérieuses. Des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences ont fait des progrès considérables pour mieux comprendre ces phénomènes fascinants, qui nous ont créés, nous et tout ce que nous connaissons. Grâce à un mélange de chance et de détermination, ils ont pu recueillir des données sur une supernova unique en son genre. Leurs conclusions sont publiées dans la revue Nature.

 

(g-d) Ido Irani, Erez Zimmerman et le Prof. Avishay Gal-Yam
(g-d) Ido Irani, Erez Zimmerman et le Prof. Avishay Gal-Yam

Jusqu’à très récemment, les supernova étaient considérées comme des phénomènes extrêmement rares : elles se produisaient dans notre galaxie une fois par siècle, au mieux, et la dernière explosion observable remontait à des centaines d’années. Les progrès de la technologie des télescopes ne permettent pas de recréer l’effet stupéfiant qu’elles ont dû avoir sur nos ancêtres, qui pouvaient voir les supernovae illuminer le ciel nocturne avec l’intensité d’une centaine de millions de soleils. Ces progrès permettent cependant l’identification de supernovae dans des galaxies lointaines et fournissent un nombre de données bien supérieur à ce qui était possible auparavant. Pourtant, le même problème persiste : Faute de pouvoir prédire la survenue d’une explosion, les astrophysiciens doivent généralement jouer le rôle d’archéologues de l’espace, arrivant sur les lieux après que l’événement se soit déjà produit et en tentant de rassembler des informations à partir des vestiges.

« C’est ce qui rend cette supernova particulière différente », explique le doctorant Erez Zimmerman du groupe du professeur Avishay Gal-Yam du Département de Physique des Particules et d’Astrophysique de Weizmann. « Nous avons pu, pour la première fois, suivre de près une supernova alors que sa lumière émergeait de la matière circumstellaire dans laquelle l’étoile en explosion était plongée. En termes plus simples, cela équivaut à se rendre sur la scène du crime alors que le meurtre est toujours en cours. »

Les scientifiques sont les premiers à admettre qu’ils ont eu beaucoup de chance. L’équipe du professeur  Gal-Yam a demandé du temps de recherche sur le télescope spatial Hubble de la NASA, dans l’espoir de recueillir des données spectrales UV sur toute supernova interagissant avec son environnement. Au lieu de cela, ils ont eu la chance d’assister en temps réel à l’une des supernovae les plus proches depuis des décennies : une supergéante rouge explosant dans une galaxie voisine appelée Messier 101.

Bien sûr, si la chance a fourni l’opportunité et les moyens, les chercheurs devaient encore recueillir les données, ce qui a demandé beaucoup de travail. La supernova a été découverte un vendredi, au début du week-end en Israël et juste avant le week-end au Space Telescope Science Institute de Baltimore, le centre d’opérations du télescope Hubble. Pour compliquer encore les choses, la découverte a eu lieu deux jours avant le mariage d’Erez  Zimmerman. L’équipe a persévéré et a passé une nuit blanche le vendredi même, livrant les mesures nécessaires à la NASA dans les temps. « Il est très rare, en tant que scientifique, de devoir agir aussi rapidement », déclare le professeur Gal-Yam. « La plupart des projets scientifiques ne se déroulent pas au milieu de la nuit, mais l’occasion s’est présentée et nous n’avions pas d’autre choix que de réagir en conséquence ».

L’occasion était doublement attrayante en raison de ses coordonnées. Non seulement l’équipe a réussi à faire adopter à Hubble le bon angle pour enregistrer les données nécessaires, mais en raison de la proximité relative de l’explosion, il s’est avéré que Hubble avait déjà effectué des enregistrements dans ce secteur de l’univers à de nombreuses reprises. En se tournant vers les archives de la NASA, les membres de l’équipe du professeur  Gal-Yam et de nombreux autres groupes ont pu acquérir des données antérieures à la disparition de l’étoile, alors qu’elle n’était encore qu’une supergéante rouge en fin de vie, créant ainsi le portrait le plus complet d’une supernova : un composite de ses derniers jours et de sa mort.

 

Sur la photo : La supernova 2023ixf s'est produite dans la galaxie Messier 101, également connue sous le nom de galaxie Pinwheel. L'image a été réalisée à partir des données du télescope dans les nuits du 21, 22 et 23 mai 2023. Crédit : Travis Deyoe, Mount Lemmon SkyCenter, Université de l'Arizona (Hosseinzadeh et al. 2023)

Sur la photo : La supernova 2023ixf s’est produite dans la galaxie Messier 101, également connue sous le nom de galaxie Pinwheel. L’image a été réalisée à partir des données du télescope dans les nuits du 21, 22 et 23 mai 2023. Crédit : Travis Deyoe, Mount Lemmon SkyCenter, Université de l’Arizona (Hosseinzadeh et al. 2023)

Heureusement, leur détermination a porté ses fruits. En analysant les données relatives aux rayons UV et X fournies par les satellites Hubble et Swift de la NASA, ainsi que par les meilleurs télescopes du monde entier, les chercheurs ont pu cartographier les deux couches externes de l’étoile qui a explosé et formuler une hypothèse extraordinaire. « Les calculs de la quantité de matière circumstellaire émise lors de l’explosion, ainsi que la densité et la masse de cette matière avant et après la supernova, révèlent une divergence qui rend très probable que la masse manquante se soit retrouvée dans un trou noir formé après l’explosion, ce qui est généralement très difficile à déterminer », explique Ido Irani, doctorant de l’équipe du professeur  Gal-Yam.

« Les étoiles se comportent de manière très erratique lorsqu’elles sont âgées », explique le professeur Gal-Yam. « Elles deviennent instables et nous ne pouvons généralement pas savoir avec certitude quels processus complexes se produisent en leur sein, car nous commençons toujours le processus d’expertise après coup, lorsque la plupart des données ont déjà été perdues. En raison de la proximité de l’étoile et de la grande qualité des données recueillies, « cette étude offre une occasion unique de mieux comprendre les mécanismes qui conduisent à la fin de la vie d’une étoile et à la formation éventuelle de quelque chose d’entièrement nouveau », déclare Erez Zimmerman.

Qu’adviendra-t-il de la matière qui constituait l’ancienne supergéante rouge de Messier 101 ? Nous ne le saurons probablement jamais, mais les dernières étapes de la supernova sont toujours en cours et de nouvelles données continuent d’arriver. Il est donc possible qu’après tout, cette étude et d’autres qui suivront nous aideront à mieux comprendre comment nous en sommes arrivés là.

 

La Science en Chiffres
La supernova supergéante rouge qui s’est produite dans la galaxie Messier 101 se trouve à 22 000 000 d’années-lumière de la Terre.



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