La sécurité évolutive d'abord

La sécurité évolutive d’abord

Des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences demandent qu’un nouveau type de test soit appliqué aux futurs médicaments pour garantir la sécurité de l’évolution due aux mutations qu’ils peuvent provoquer.

De combien de mutations ai-je besoin, moi ou un membre de mon espèce, pour améliorer nos chances de survie ? Il n’existe pas de réponse unique et correcte à cette question, mais on peut y réfléchir en termes de tension inhérente entre l’innovation et la conservation. Si le taux de mutation est élevé – c’est-à-dire si davantage d’erreurs se produisent lors de la réplication du génome des parents à la descendance – le résultat sera parfois avantageux pour nous, car il nous permettra de nous adapter plus rapidement à notre environnement, mais le prix à payer peut être élevé. En revanche, si nous optons pour une approche plus conservatrice, avec un taux de mutation plus lent, nous garantissons le maintien du statu quo, mais nous ne bénéficierons d’aucune nouvelle caractéristique susceptible d’améliorer la capacité de survie de la chaîne.

(g-d) Prof. Yitzhak Pilpel et Gabriela Lobinska. Innovation évolutive
(g-d) Prof. Yitzhak Pilpel et Gabriela Lobinska. Innovation évolutive

De nombreux chercheurs se sont posé ces questions, mais, jusqu’à présent, pas en relation avec les nouveaux traitements médicaux qui augmentent le taux de mutation des virus ou des bactéries dans le but de les éradiquer. De manière assez surprenante, la personne qui a soulevé la question dans ce contexte n’était pas un scientifique, mais un utilisateur des médias sociaux doté de beaucoup de bon sens. Il réagissait à une annonce encourageante faite au plus fort de la pandémie de coronavirus par la société pharmaceutique Merck. L’entreprise avait reçu l’approbation d’urgence de la Food and Drug Administration des États-Unis pour un nouveau médicament appelé molnupiravir, qui pousse le virus SRAS-CoV-2 à muter si rapidement qu’il s’autodétruit. La réponse logique de l’homme : Même si, dans la plupart des cas, il est évident que l’accélération du taux de mutation sera fatale pour les virus, il arrive parfois que les virus profitent des changements apportés à leur génome, ce qui pourrait leur donner des capacités accrues – et les humains rencontreraient alors des souches plus dangereuses de coronavirus et finiraient par payer un lourd tribut à cette innovation évolutive.

Le professeur Yitzhak Pilpel, du Département de Génétique Moléculaire de l’Institut Weizmann des Sciences, a vu ce message sur les réseaux sociaux et s’est interrogé : Est-il possible que le médicament présente un défaut très grave qui n’a pas été pris en compte lors du processus de développement et d’approbation ? « À ma connaissance, explique le Prof. Pilpel, il s’agit du premier médicament jamais mis au point pour tuer le virus en accélérant le taux de mutation, ce qui pourrait changer la façon dont une épidémie mortelle se propage. Étant donné que les tests de sécurité des médicaments se concentrent généralement sur leurs effets sur les patients eux-mêmes – en d’autres termes, sur la sécurité physiologique du médicament – il semble qu’un système permettant de tester la sécurité des médicaments d’un point de vue entièrement nouveau, soit nécessaire pour s’assurer de la sécurité de l’évolution . Un tel test serait également pertinent pour les médicaments – développés avant le molnupiravir – qui accélèrent également le taux de mutation des virus ou des bactéries, mais qui le font en tant que sous-produit involontaire.

Le médicament de Merck pourrait connaître un double succès. Il a guéri des personnes atteintes du coronavirus et le modèle actuel suggère qu'il pourrait également être bénéfique pour l'humanité.
Le médicament de Merck pourrait connaître un double succès. Il a guéri des personnes atteintes du coronavirus et le modèle actuel suggère qu’il pourrait également être bénéfique pour l’humanité.

En collaboration avec Gabriela Lobinska, doctorante dans son propre laboratoire, et le Prof. Martin A. Nowak, de l’université de Harvard, le Prof. Pilpel a commencé à chercher des moyens de relever le défi que représente la mise au point d’un nouveau type de test. Les chercheurs suggèrent trois façons possibles de tester la sécurité de l’évolution . La première consiste à intégrer le test dans les essais cliniques des nouveaux médicaments. Bien qu’il s’agisse d’un moyen efficace d’identifier les interactions entre l’agent pathogène et le patient, il pourrait s’avérer trop complexe à réaliser, notamment en raison de la nécessité de suivre les multiples branches de la lignée des virus ou des bactéries. En même temps, en raison de la taille limitée du groupe de test recevant un traitement médical, il ne refléterait qu’un petit nombre de mutations et pourrait même manquer celles qui ont conduit à l’extinction de l’agent pathogène et qui n’a pas survécu chez le patient. Le second système de test de la sécurité évolutive pourrait être mené en laboratoire et devrait fournir une image beaucoup plus complète des sous-ensembles de mutations, y compris celles créées à la suite de différents types de traitement, tels que des doses variables du médicament.

Les chercheurs se sont toutefois concentrés sur le troisième paradigme de recherche : un test théorique utilisant un modèle mathématique capable de présenter une image complète de la lignée des virus ou des bactéries et de la façon dont ils ont réagi au traitement médical. Les scientifiques ont élaboré un modèle informatique qui leur a permis d’analyser des dizaines de milliers de mutations possibles dans le génome du coronavirus. L’objectif était d’évaluer la probabilité respective de trois situations possibles : une mutation bénéfique pour le virus et préjudiciable pour l’homme, telle qu’une mutation qui améliore la contagiosité ou accroît la résistance aux médicaments existants ; une mutation mortelle pour le virus et bénéfique pour l’homme ; et les cas où la mutation n’entraîne aucun changement significatif dans le comportement du virus.

Dans un article scientifique récemment publié dans PLOS Biology, les chercheurs ont conclu que le médicament de Merck pourrait connaître un double succès. Il a guéri les personnes atteintes du coronavirus et le modèle actuel suggère qu’il pourrait également être bénéfique pour l’humanité dans certaines conditions, car il pourrait réduire le risque d’émergence de nouvelles souches inquiétantes. Le secret réside dans les chiffres. L’étude a montré qu’en matière de sécurité évolutive, le nombre de mutations bénéfiques pour le virus mais néfastes pour l’homme était plutôt limitée. Si un médicament augmente le nombre de changements dans le génome du virus mais diminue sa population à un rythme rapide, le risque évolutif posé par ce médicament sera faible. En même temps, il est important de prendre en compte le fait que la force du système immunitaire du patient et le moment du début du traitement ont également un impact majeur sur la sécurité évolutive.

La Science en Chiffres
Le molnupiravir fait passer le taux d’erreurs de copie lors de la réplication du coronavirus de 1 pour 1.000.000 sans traitement à 2 ou 3 pour 1.000.000 après traitement. Le médicament réduit la charge virale d’un facteur 10 et le taux d’hospitalisation de 33%. Selon la nouvelle étude, le traitement pourrait également réduire d’environ 50 % le risque d’émergence d’une souche virale particulièrement virulente.



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