Quand la sécheresse s'en mêle, les inondations s'ensuivent

Quand la sécheresse s’en mêle, les inondations s’ensuivent

De nouvelles découvertes pourraient améliorer les alertes aux inondations pour des millions de personnes vivant sur le sous-continent indien.

En 2018, dans l’État indien du Kerala, plus de 400 personnes sont mortes au cours d’une seule série d’inondations qui ont déplacé des millions de personnes. Les inondations font partie intégrante de la saison annuelle de la mousson en Asie tropicale, mais jusqu’à présent, il était difficile de prédire comment et quand les pluies normalement abondantes de la mousson se transformeraient en un événement cauchemardesque d’inondations graves. De nouvelles recherches menées par un groupe de chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences pourraient élargir la fenêtre de prévision en mettant en évidence un événement – étonnamment, l’arrivée d’air sec – qui pourrait présager des pluies particulièrement intenses.

Le Dr. Shira Raveh-Rubin, du Département des Sciences de la Terre et des Planètes de Weizmann, a dirigé l’étude avec le Dr. Deepika Rai, chercheur postdoctoral. Leurs résultats ont été publiés dans la revue npj Climate and Atmospheric Science.

Dr. Shira Raveh-Rubin. Vérification de la pluie
Dr. Shira Raveh-Rubin. Vérification de la pluie

Les pluies de mousson qui s’abattent sur le sous-continent indien de juillet à septembre sont des phénomènes à multiples facettes, compliqués par une combinaison de nombreux facteurs, notamment les courants d’air à l’échelle mondiale qui se déplacent et s’inclinent. L’étude Weizmann a permis d’identifier un facteur de complication inconnu jusqu’à présent : un sous-type de courant d’air connu sous le nom d’intrusion sèche.

Comme leur nom l’indique, ces courants d’air sont constitués d’air sec, mais aussi d’air très froid, surtout par rapport à l’air humide et chargé de vapeur d’eau d’une averse de mousson. On a supposé, à juste titre, que les intrusions sèches – qui descendent dans la troposphère – la couche la plus basse de l’atmosphère terrestre – étaient responsables des pauses de la mousson, de courtes périodes sèches au cours de la saison des pluies.

Les intrusions sèches qui traversent l’équateur du sud au nord ne sont connues que dans la région du sous-continent indien. Les Dr. Raveh-Rubin et Rai ont examiné les données relatives à 40 années d’intrusions sèches dans cette partie du monde – 137 cas enregistrés entre 1979 et 2018 – et les ont comparées aux relevés de précipitations effectués à peu près à la même époque. De manière surprenante, ils ont constaté que ces intrusions sèches n’étaient pas suivies d’un temps sec, mais plutôt d’une augmentation des précipitations – de 17 % en moyenne et, dans certains cas, de plus de 100 %.

Dr. Deepika Rai
Dr. Deepika Rai

« Comment l’air sec produit-il plus de pluie ? », s’est interrogée le Dr. Raveh-Rubin. Pour comprendre ce qui se passe, les deux chercheurs ont appliqué un modèle issu de la physique mécanique qui consiste à analyser les états de « paquets » d’air en mouvement en fonction des changements de température, de localisation et de teneur en eau. Ce suivi leur a permis de constater une augmentation de la quantité totale d’eau et d’en expliquer la cause. L’air sec des intrusions au-dessus de l’océan Indien agit comme une sorte d’éponge. Plus l’écart d’humidité entre la surface de l’océan et ces paquets d’air sec est important, plus ils absorbent d’eau de l’océan, transportant cette eau vers le nord, en direction de la côte ouest de l’Inde, dans la mer d’Arabie.

Bien que des études similaires aient utilisé ce modèle pour comprendre les schémas de précipitations et les interruptions de la mousson, elles n’avaient pas examiné les intrusions sèches particulières circulant au-dessus de l’équateur, qui se comportent différemment de leurs homologues terrestres. C’est pourquoi, explique le Dr. Raveh-Rubin, ils avaient supposé que ce phénomène entraînait un temps plus sec, et non pas plus humide. « En fait, il s’agit d’un cas où l’hiver de l’hémisphère sud fait irruption dans l’été de l’hémisphère nord », explique-t-elle.

Le docteur Raveh-Rubin pense que ce mécanisme a été négligé jusqu’à présent, en partie parce que la dynamique des moussons a tendance à inclure des mécanismes qui opèrent sur des échelles de temps plus longues – mois ou années – ainsi que des phénomènes plus lents tels que l’augmentation des températures de surface de l’eau de mer, alors que la dynamique des intrusions sèches se déroule à l’échelle de jours ou de semaines.

Les images satellites d'une région de l'océan Indien montrent une augmentation inhabituelle des précipitations quotidiennes (en millimètres par jour) dans les jours qui suivent les intrusions sèches.
Les images satellites d’une région de l’océan Indien montrent une augmentation inhabituelle des précipitations quotidiennes (en millimètres par jour) dans les jours qui suivent les intrusions sèches. Sur la base des données satellitaires des 40 dernières années

Pour le Dr. Raveh-Rubin et son groupe, la science des intrusions sèches n’est ni sèche ni intrusive. Pour elle, il s’agit d’un lien palpable entre la physique abstraite et la réalité. « Il ne s’agit pas seulement d’une théorie simplifiée. Vous pouvez le voir dans la vie réelle et dans les données, et vous pouvez le voir de vos propres yeux lorsque vous sortez », dit-elle. La possibilité supplémentaire de fournir des alertes précises en cas d’inondation dans des pays comme l’Inde et le Bangladesh, où des millions de personnes vivent dans les plaines inondables, est le jackpot. Elle pense que la surveillance des intrusions sèches – une capacité qui existe aujourd’hui – pourrait améliorer de manière significative la prévision des pics de précipitations spécifiques susceptibles d’entraîner des inondations. En particulier, les alertes préalables à ces phénomènes météorologiques extrêmes pourraient passer d’un jour ou deux à environ une semaine, ce qui permettrait une préparation adéquate et, le cas échéant, une évacuation, sauvant ainsi des centaines, voire des milliers de vies.

Le Dr. Raveh-Rubin et son groupe ont l’intention de continuer à étudier les effets des intrusions sèches sur les moussons asiatiques et d’affiner leur modèle. Ils veulent notamment savoir comment et pourquoi ces paquets d’air se forment de cette manière. Le groupe a également l’intention d’examiner l’occurrence des intrusions sèches dans le monde entier, à la recherche d’effets similaires dans d’autres régions. Ils espèrent ainsi améliorer notre capacité à prévoir des pluies plus abondantes et des inondations plus graves à l’avenir.

La Science en chiffres
La mousson d’été de l’Inde affecte la vie de plus d’un sixième de la population mondiale. Elle dure généralement de juin à septembre, soit environ un tiers de l’année, et comprend, en moyenne, trois ou quatre intrusions sèches majeures en provenance de l’hémisphère sud. La mousson d’été représente environ 80 % des précipitations annuelles de l’Inde, ce qui a un effet considérable sur l’agriculture et l’eau.



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