certaines bactéries qui voyagent sur de longues distances à bord de particules de poussière du désert peuvent atterrir vivantes et en pleine forme

Un peu poussiéreux – mais vivant

Une étude de l’Institut Weizmann montre que certaines bactéries qui voyagent sur de longues distances à bord de particules de poussière du désert peuvent atterrir vivantes et en pleine forme.

En raison de leur taille minuscule, les micro-organismes parcourent le monde sans effort. Les vents les transportent, perchés sur des grains de poussière et d’autres particules en suspension dans l’air, à travers les continents et les océans. Des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences entre autres ont documenté ce mouvement de manière cohérente grâce au séquençage génétique d’échantillons prélevés dans l’air.

Mais ces études ont laissé en suspens une question cruciale : Ces micro-organismes sont-ils encore capables de fonctionner lorsqu’ils atterrissent – affectant éventuellement les humains, les animaux et les plantes, provoquant des maladies ou activant des voies biochimiques – après avoir circulé pendant des jours à des altitudes élevées où l’humidité et les températures sont basses et où le rayonnement ultraviolet est fort ?

(G-D) Prof. Yinon Rudich et Burak Adnan Erkorkmaz sur le toit de leur laboratoire (G-D) Prof. Yinon Rudich et Burak Adnan Erkorkmaz sur le toit de leur laboratoire 

Une nouvelle étude menée dans le laboratoire du professeur Yinon Rudich, du Département des Sciences de la Terre et des Planètes de l’Institut Weizmann des Sciences, montre que certaines des bactéries transportées sont potentiellement vivantes et peuvent se développer lorsqu’elles touchent le sol, ce qui pourrait avoir des implications pour la santé publique et l’agriculture.

« Sortir lors d’une tempête de poussière n’est pas bon pour la santé », explique le Prof. Rudich. « Les tempêtes de poussière pourraient s’intensifier en raison du changement climatique, et le fait de savoir qu’elles contiennent des bactéries vivantes pourrait, à l’avenir, donner lieu à des avertissements sanitaires spécifiques avant de tels événements. Par exemple, les personnes dont le système immunitaire est affaibli ou les agriculteurs qui élèvent du bétail pourraient limiter leur exposition ou prendre d’autres précautions. »

Israël et la Méditerranée orientale, carrefour majeur des migrations humaines depuis l’aube de la civilisation, est aussi une région particulièrement propice à l’étude des déplacements aériens de micro-organismes par les poussières désertiques. Des masses d’air en provenance du Sahara, de la péninsule arabique, de la frontière irako-syrienne et de l’Europe y convergent, emportant avec elles des micro-organismes au gré des vents.

Dans une nouvelle étude, Burak Adnan Erkorkmaz, doctorant dans le laboratoire du Prof.  Rudich, a mené des expériences au cours desquelles les scientifiques ont d’abord échantillonné l’air atmosphérique pendant et entre les tempêtes de poussière, à l’aide d’échantillonneurs d’air installés sur le toit de leur laboratoire à l’Institut Weizmann. Ils ont ensuite passé les échantillons collectés à travers des filtres de différentes tailles et les ont testés pour détecter la présence d’ADN bactérien.

Particules capturées par un échantillonneur d'air microbien cyclonique fonctionnant pendant 120 minutes lors d'une journée poussiéreuse à Rehovot, Israël.
Particules capturées par un échantillonneur d’air microbien cyclonique fonctionnant pendant 120 minutes lors d’une journée poussiéreuse à Rehovot, Israël.

Pourtant, « nous avons supposé que si nous détections plus d’ARN que d’ADN pour des bactéries spécifiques, cela indiquerait que les bactéries en question sont vivantes ou l’ont été jusqu’à très récemment », explique M. Erkorkmaz. Il s’est concentré sur l’ADN ribosomique et sur un composant de l’ARN appelé 16S, qui est unique pour chaque type de bactérie et qui est donc utilisé pour identifier les espèces bactériennes.

M. Erkorkmaz et le Dr Daniela Gat, également du laboratoire du Prof. Rudich, ont trouvé de nombreuses sortes de bactéries dans leurs échantillons, environ 5 000 au total. Après le séquençage de l’ARN, environ 10 % de toutes les bactéries ont été jugées vivantes.

Certaines de ces bactéries sont des pathogènes connus (bactéries pathogènes) chez l’homme, les animaux et les plantes. Un genre identifié dans les échantillons, Pseudomonas, comporte des espèces qui peuvent provoquer des infections chez l’homme et le bétail. D’autres jouent un rôle important dans les processus végétaux et ne sont pas nécessairement pathogènes. Sphingomonas, par exemple, est un genre dont certaines espèces jouent un rôle dans la fermentation du vin. Les chercheurs ont aussi identifié un autre genre, le Methylorubrum qui comprend des espèces influençant la maturation et le goût des fraises.

L’étude a également montré que les grosses particules transportent des bactéries plus abondantes et plus diversifiées que les petites particules. Cela pourrait avoir une incidence sur la manière dont les scientifiques évaluent les niveaux de risque liés aux tempêtes de poussière, puisque les évaluations actuelles considèrent que les petites particules sont plus dangereuses parce qu’elles pénètrent plus profondément dans les poumons.

Échantillons de particules mesurant de 0,95 à 1,5 micromètre filtrées dans l'air lors d'une tempête de poussière à Rehovot, en Israël.
Échantillons de particules mesurant de 0,95 à 1,5 micromètre filtrées dans l’air lors d’une tempête de poussière à Rehovot, en Israël.

La concentration bactérienne plus élevée dans les grosses particules fournit également un indice sur la manière dont elles survivent à leur périlleux voyage. Il est probable qu’elles se fixent à la poussière minérale ou s’agglutinent en agrégats qui les protègent des éléments, de la même manière que les bactéries dans d’autres environnements hostiles se recouvrent de ce que l’on appelle des biofilms. En effet, M. Erkorkmaz a constaté que les bactéries ayant une forte probabilité d’être vivantes étaient celles qui sont connues pour former des biofilms dans la nature.

L’équipe de recherche a identifié l’origine des bactéries en analysant les trajectoires des vents sur une période allant jusqu’à sept jours pendant une tempête de poussière, notamment en croisant les images satellites des tempêtes de poussière en mouvement avec les dates auxquelles l’équipe a collecté ses échantillons. La composition bactérienne des échantillons diffère selon le lieu d’origine de la poussière.

Contrairement à la plupart des gens, qui cherchent à éviter les tempêtes de poussière, M. Erkorkmaz a passé des mois à traquer ces phénomènes météorologiques à l’aide de prévisions. Malheureusement pour lui, de nombreuses tempêtes de poussière survenues au cours de la période de recherche se sont produites pendant les week-ends, l’obligeant à monter sur le toit pendant ses jours de repos, souvent à des heures indues de la nuit.

Mais  le panorama n’était pas désagréable et, surtout, l’investissement s’est avéré payant, affirme M. Erkorkmaz. Les résultats, explique-t-il, « jettent une lumière nouvelle sur les types d’impacts écologiques que les bactéries transportées par le vent peuvent produire ».

 

La science en chiffres
Les tempêtes de poussière peuvent tripler le nombre de types de bactéries dans l’air. Dans des conditions météorologiques normales, les scientifiques ont trouvé entre 250 et 750 types de bactéries dans un échantillon composé de 10 000 à 15 000 microgrammes de poussière, filtrés pendant 6 heures à partir d’environ 400 m3 d’air (à peu près le volume d’un appartement de deux chambres à coucher). Lors d’une tempête de poussière, même légère, l’équipe de recherche a recueilli entre 25 000 et 50 000 microgrammes de poussière, et le nombre de types de bactéries est passé de 750 à 2 000 par échantillon. La concentration moyenne de cellules bactériennes a grimpé en flèche pendant les tempêtes de poussière, atteignant entre 3 000 et 5 500 cellules bactériennes par m3, soit au moins 10 fois la concentration enregistrée dans des conditions normales.



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