Construire de meilleures enzymes – en les décomposant

Dans une étape majeure vers une industrie plus verte, des scientifiques de l’Institut Weizmann créent une méthode computationnelle pour générer des enzymes avec une efficacité sans précédent.

Les enzymes ont le potentiel de transformer l’industrie chimique en offrant des alternatives vertes à toute une série de processus. Ces protéines agissent comme des catalyseurs biologiques et, grâce à l’ingénierie moléculaire, elles peuvent faire passer les réactions naturelles en mode turbo. Des enzymes sur mesure pourraient, par exemple, conduire à la fabrication de médicaments non polluants ; elles pourraient également décomposer en toute sécurité les polluants, les eaux usées et les déchets agricoles, puis les transformer en biocarburant ou en aliments pour animaux.

Une nouvelle étude de l’Institut Weizmann des Sciences, publiée dans Science, rapproche cette vision de la réalité. Dans leur publication, les chercheurs, dirigés par le professeur Sarel Fleishman du Département des Sciences Biomoléculaires, dévoilent une méthode de calcul permettant de concevoir des milliers de différentes enzymes actives avec une efficacité sans précédent en les assemblant à partir de blocs de construction modulaires.

(de gauche à droite) Prof. Sarel Fleishman, Rosalie Lipsh-Sokolik et Dr. Olga Khersonsky(de gauche à droite) Prof. Sarel Fleishman, Rosalie Lipsh-Sokolik et Dr. Olga Khersonsky

Les biochimistes conçoivent d’habitude de nouvelles enzymes en modifiant de manière aléatoire l’ADN codant celles qui existent naturellement et en sélectionnant les variantes résultantes pour l’activité souhaitée, un processus qui peut prendre énormément de temps. L’équipe du Prof. Fleishman a eu l’idée de générer un grand nombre d’enzymes très diverses en décomposant les enzymes naturelles en fragments constitutifs qui peuvent ensuite être modifiés et recombinés de diverses manières.

L’inspiration pour cette nouvelle approche est venue de l’intérieur : notre système immunitaire, qui est capable de fabriquer des milliards d’anticorps différents – des protéines qui, en principe, peuvent contrer n’importe quel micro-organisme nuisible – uniquement à partir des éléments, ou « bits » dictés par un nombre relativement faible de gènes. « Les anticorps sont la seule famille de protéines dans la nature connue pour être générée de manière modulaire », explique le Prof. Fleishman. « Leur énorme diversité est obtenue en recombinant des fragments génétiques préexistants, de la même manière qu’un nouveau type d’appareil électronique est assemblé à partir de transistors et d’unités de traitement préexistants. »
Les enzymes pourraient-elles être générées, comme les anticorps, à partir de fragments modulaires conçus en laboratoire qui se combinent en de plus grandes structures ?

Rosalie Lipsh-Sokolik, une doctorante qui a mené l’étude dans le laboratoire du Prof. Fleishman, a commencé à expérimenter avec une famille de plusieurs douzaines d’enzymes qui décomposent le xylane, un composant commun des parois cellulaires des plantes. « Si nous parvenons à stimuler l’activité de ces enzymes, elles pourraient être utilisées pour décomposer des composés végétaux tels que le xylane et la cellulose en sucres, qui pourraient à leur tour contribuer à la production de biocarburants », explique Rosalie Lipsh-Sokolik. « Au lieu de se débarrasser des déchets agricoles, par exemple, nous devrions pouvoir les transformer en source d’énergie. »

Rosalie Lipsh-Sokolik a mis au point un algorithme qui utilise des calculs de conception de protéines basés sur la physique ainsi qu’un nouveau modèle d’apprentissage automatique. L’algorithme a décomposé chacune des différentes variantes de séquences d’enzymes de décomposition du xylane en plusieurs fragments, puis a introduit des dizaines de mutations dans ces morceaux – le tout de manière à maximiser la compatibilité potentielle des différents fragments. L’algorithme a ensuite assemblé les fragments en différentes combinaisons et a sélectionné le million de séquences d’enzymes codées qui ont été jugées stables.

L’étape suivante pour Rosalie Lipsh-Sokolik et ses collègues a consisté à synthétiser un million d’enzymes réelles à partir de ces modèles informatiques et à les tester en laboratoire. À leur grande surprise, l’activité de 3 000 d’entre elles a été confirmée. « La première fois que nous avons regardé les résultats expérimentaux, nous avons été stupéfaits », dit le Prof. Fleishman. « Le taux de réussite de 0,3 % n’est pas élevé, mais le nombre de différentes enzymes actives que nous avons obtenues était stupéfiant. Dans les études typiques de conception et d’ingénierie des protéines, on voit peut-être une douzaine d’enzymes actives. »

Armés d’un vaste répertoire d’enzymes, les chercheurs ont ensuite posé une question clé qui intéresse les chercheurs en protéines : Quelles sont les caractéristiques moléculaires qui distinguent les enzymes actives des protéines inactives ?

À l’aide d’outils d’apprentissage automatique, Rosalie Lipsh-Sokolik a examiné une centaine d’éléments qui caractérisent les enzymes et a utilisé les dix plus prometteurs pour créer un prédicteur d’activité. Lorsqu’elle a incorporé ce prédicteur d’activité dans son algorithme et qu’elle a répété l’expérience de conception avec les enzymes décomposant le xylane, ce répertoire de deuxième génération comptait jusqu’à 9 000 enzymes décomposant le xylane et 3 000 autres décomposant la cellulose, soit un total de 12 000 enzymes actives. Le taux de réussite a été multiplié par dix par rapport à l’expérience initiale, ce qui constitue un exploit sans précédent dans l’histoire de la conception des protéines : L’équipe a réussi, en une seule expérience, à concevoir plus d’enzymes potentiellement actives que les méthodes standard ne pouvaient en produire en une décennie.



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