Les virus prennent le dessus

Des scientifiques de l’Institut Weizmann révèlent comment les virus déjouent les systèmes immunitaires cellulaires.

Nous avons l’habitude de considérer le système immunitaire comme une entité séparée, presque un organe distinct, mais la vérité est bien plus complexe. Les percées réalisées ces dernières années – dont certaines sont le fruit de recherches effectuées dans le laboratoire du Prof. Rotem Sorek au Département de Génétique Moléculaire de l’Institut Weizmann des Sciences – ont montré que les cellules bactériennes individuelles possèdent leur propre système immunitaire inné et autonome, capable d’identifier, de localiser et de traiter les intrus. Dans un nouvel article récemment publié, l’équipe du Prof. Sorek – avec des collaborateurs de la Harvard Medical School et du Dana-Farber Cancer Institute – a révélé à la fois la manière dont les virus surmontent le système immunitaire d’une cellule et la composition chimique d’une mystérieuse molécule inhérente au processus.


(l-r) Jeremy Garb, Prof. Rotem Sorek, Dr. Azita Leavitt, Dr. Gil Amitai, Erez Yirmiya and Dr. Ehud Herbst

Les virus qui poussent les cellules bactériennes à lever leurs boucliers de défense sont appelés phages. Le modus operandi de ces virus est d’injecter leur ADN dans une bactérie, manipulant la cellule pour qu’elle réplique le phage des dizaines de fois. À ce moment-là, les phages nouvellement nés tuent la bactérie, s’en échappent et partent à la chasse d’autres cellules bactériennes proches. Cependant, les bactéries ne sont pas sans défense, elles utilisent leur système immunitaire autonome pour combattre cette menace.

Des recherches antérieures au laboratoire du Prof. Sorek avaient montré qu’un fragment de la protéine immunitaire appelé TIR est celui qui est chargé d’identifier une invasion de phages et qu’une fois le phage détecté, le TIR produit une mystérieuse molécule signal qui déclenche la réponse immunitaire. Le segment TIR a été initialement découvert dans les systèmes immunitaires des plantes et des animaux, mais le groupe du Prof. Sorek a pu démontrer qu’un mécanisme similaire existe chez les bactéries. Pourtant, la mystérieuse molécule de signalisation n’a pas été détectée.

Bacteriophages attaquant une bactérie. Source: Prof. Graham Beards
Bacteriophages attaquant une bactérie. Source: Prof. Graham Beards

Cette fois, l’équipe de Sorek a découvert comment les phages peuvent surmonter l’immunité TIR. En étudiant un groupe de phages très similaires, ils ont été surpris de découvrir que si l’immunité TIR assurait une protection contre certains d’entre eux, d’autres étaient victorieux et parvenaient à tuer les bactéries. En étudiant les phages victorieux, l’équipe a découvert qu’ils contiennent un gène spécial, codant pour une protéine qui neutralise l’immunité TIR, permettant ainsi au phage de prendre le dessus.

Lorsque les scientifiques ont examiné cette protéine, désormais appelée Tad1, ils ont constaté qu’elle capturait la molécule de signalisation immédiatement après sa production par la protéine TIR. « C’est comme si la protéine avait rapidement avalé la molécule, sans laisser le système immunitaire l’apercevoir », explique le Prof. Sorek. « Ce type de mécanisme d’évasion immunitaire n’a jamais été observé dans aucun virus connu ».

Le groupe a alors réalisé que si la molécule est enfermée dans la protéine du phage, il pourrait être en mesure de la « voir » en examinant la structure de la protéine. Avec leurs collaborateurs de Harvard, les professeurs Philip Kranzusch et Allen Lu, l’équipe a pu, par cristallographie, déterminer la structure spatiale et la composition chimique de la molécule. « Nous recherchions cette mystérieuse molécule immunitaire depuis plusieurs années maintenant », déclare Sorek. « Ironiquement, nous n’aurions pas pu la trouver sans l’aide du phage ».

a protéine Tad1, produite par le phage, capture une molécule de signalisation immunitaire.
La protéine Tad1, produite par le phage, capture une molécule de signalisation immunitaire. Dans la figure : Une paire de protéines Tad1 et deux molécules de signalisation piégées à l’intérieur.

« Nous avons découvert une nouvelle façon dont les virus peuvent désactiver les systèmes immunitaires qui reposent sur des molécules de signalisation », explique le Prof. Sorek. « Ces systèmes immunitaires n’appartiennent pas en exclusivité aux bactéries – ils existent dans les cellules des plantes et des êtres humains ». Comprendre comment les phages sont capables de s’adapter et d’évoluer pourrait nous aider à mieux nous défendre contre le système immunitaire des bactéries en identifiant les mêmes mécanismes dans la structure cellulaire des virus qui nous dérangent. « Nous ne serons pas surpris si les virus qui infectent notre corps utilisent exactement le même mécanisme que le Tad1 que nous avons trouvé dans les phages, » dit le Prof. Sorek. Si c’est le cas, cela pourrait avoir des conséquences directes sur notre capacité à nous protéger des virus qui cherchent à déjouer notre système immunitaire.

Une bactérie infectée par des phages peut produire environ 100 nouveaux phages en moins d’une heure.

Le professeur Rotem Sorek est à la tête du Centre de Microbiologie de la famille Knell. Les recherches du professeur Sorek sont soutenues par le Willner Family Leadership Institute for the Weizmann Institute of Science, le Dr. Barry Sherman Institute for Medicinal Chemistry, le Sagol Weizmann-MIT Bridge Program, le Schwartz/Reisman Collaborative Science Program, le Andre Deloro Prize for Scientific Research.



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