Aussi naïfs qu’ils puissent l’être

La méthode du professeur Jacob Hanna, qui permet de cultiver des embryons de souris en dehors de l’utérus, a été sélectionnée pour le prix « Percée de l’année » décerné par Science. Une autre étude de son laboratoire nous rapproche un peu plus de la culture d’organes humains destinés à la transplantation.

On est encore loin de pouvoir cultiver des organes pour les transplanter, ce qui permettrait de sauver des vies. Toutefois, les travaux du professeur Jacob Hanna sur les cellules souches ouvrent la voie à la concrétisation de ce projet.


(de gauche à droite) Sergey Viukov, Dr Noa Novershtern, Dr Muneef Ayyash, Prof. Jacob Hanna, et Tom Shani. Pas si naïfs

Le Prof. Hanna et son équipe du Département de Génétique Moléculaire de l’Institut Weizmann des Sciences ont trouvé un moyen de cultiver des cellules souches humaines à un stade beaucoup plus précoce que ce qui était possible auparavant. De plus, les cellules souches qu’ils ont créées sont beaucoup plus compétentes, ce qui signifie qu’elles sont capables de s’intégrer plus efficacement à leur environnement hôte. Cela améliore considérablement les chances d’obtenir ce que l’on appelle une chimère inter-espèces – permettant aux cellules d’une créature de jouer un rôle important dans le développement d’une autre-.

Les résultats récemment publiés démontrent que des cellules humaines très précoces peuvent être créées puis intégrées avec succès dans des souris, en raison de leur état indifférencié, ou « naïf », dans lequel elles peuvent se développer en n’importe quel type de cellule dans le corps, y compris en d’autres cellules souches. En outre, les chercheurs établissent un protocole permettant d’augmenter considérablement l’efficacité (ou la compétence) avec laquelle ces cellules peuvent s’intégrer. L’amélioration de notre capacité à créer et à étudier ces types de cellules pourrait être utilisée à l’avenir pour transférer des cellules – voire des organes – d’un animal à un autre, y compris l’homme.


Embryon de souris chimérique en développement. Les cellules humaines (en vert) colonisent particulièrement différentes régions du cerveau et le cœur.

Le laboratoire du Prof. Hanna a innové en 2013 lorsqu’il a été le premier à injecter des cellules souches humaines dans des souris et à montrer qu’elles pouvaient s’intégrer avec succès dans les embryons en développement de ces dernières. Huit ans après la publication de cette étude, le Prof. Hanna et son équipe ont estimé qu’ils pouvaient aller plus loin en tentant de produire une forme de cellules souches encore plus précoce, « entièrement » naïve, pour l’utiliser dans des procédures similaires. Alors qu’ils réfléchissaient à cette idée, le Prof. Hanna savait que cela pourrait être presque, voire totalement, impossible à réaliser. « Notre expérience de la production de cellules similaires chez la souris nous a appris à nous attendre à des obstacles difficiles à franchir », déclare le Prof. Hanna.

Ces cellules souffrent normalement d’instabilité génétique et épigénétique et, en fin de compte, elles ne se différencient pas très bien, ce qui est pourtant essentiel au bon développement embryonnaire et est une condition préalable à leur intégration dans l’embryon d’un autre animal. En fait, seuls 1 à 3 % des cellules transférées entre espèces parviennent à s’intégrer et à contribuer au développement.


Jonathan Bayerl. L’un des principaux contributeurs de l’étude.

Pour augmenter ces chiffres, les chercheurs de la nouvelle étude ont inhibé deux voies de signalisation supplémentaires pour produire des cellules souches humaines naïves ayant un génome stable, relativement peu de problèmes de régulation des gènes et, surtout, se différenciant parfaitement. Les chercheurs ont également muté un gène important qui contribue à la stabilité du génome, ce qui a permis d’obtenir des cellules souches non seulement compétentes, mais aussi compétitives, capables de bien s’intégrer sans causer de dommages à l’hôte. « Nous avons trouvé un moyen de rendre les cellules souches humaines plus compétentes et plus compétitives, ce qui multiplie par cinq environ les chances de réussite d’un transfert par rapport à ce que nous pouvions faire dans le passé », conclut le Prof. Hanna.

Si l’étude précédente a montré que les cellules souches naïves humaines peuvent se différencier en cellules germinales primordiales – les progéniteurs des ovules ou des spermatozoïdes – les cellules souches totalement naïves produites dans la présente étude peuvent également se différencier en tissus extra-embryonnaires, le placenta et les cellules du sac vitellin qui soutiennent l’embryon en développement. Ces cellules pourraient être utilisées, par exemple, comme source pour développer des embryons synthétiques sans avoir recours à des ovules de donneuses. « Atteindre cet état avec des cellules souches de souris est particulièrement difficile à réaliser », explique le Prof. Hanna, notant que « les cellules humaines sont apparemment différentes. »

C’est peut-être la découverte la plus surprenante que les chercheurs ont faite – mettant en évidence les différences entre le comportement des cellules souches humaines et de souris, et entre les différents états des cellules naïves. Ces différences mettent en évidence le travail qu’il reste à accomplir pour que le rêve de développer des organes « sur mesure » devienne une réalité dans le monde réel.


Moelle épinière dans un embryon de souris chimérique en développement. Les cellules humaines (vertes) contribuent au développement du système nerveux en laissant une signature neuronale (rose – neurones de la moelle épinière, bleu – noyaux des cellules).

Selon le Prof. Hanna, la compréhension de ces différences sera essentielle pour surmonter une myriade de problèmes auxquels se heurte encore le domaine de la recherche et de l’application des cellules souches : « Si, à l’avenir, nous souhaitons faire pousser un pancréas chez le porc en vue d’une transplantation humaine, par exemple, nous devrons tenir compte de ces différences évolutives massives entre les espèces, à commencer par la souris et l’homme. » Pour l’instant, il semblerait que le Prof. Hanna et son équipe aient fait un bond constructif dans cette direction.

 

La Science en chiffres
Seuls 1 à 3 % des cellules transférées d’un animal à l’autre s’intègrent avec succès.

*Chimère : embryon ou organisme où coexistent au moins deux populations cellulaires porteuses d’ADN différents



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