Un espoir pour les diabétiques

En attendant de manger : les surprenantes cellules intestinales fœtales qui fabriquent l’insuline. Cette découverte ouvre de nouvelles perspectives pour le développement de futurs traitements contre le diabète.

La « licence » exclusive de fabrication de l’insuline dans le corps humain appartient aux cellules bêta disséminées dans le pancréas. Mais comme les cellules bêta peuvent se raréfier ou devenir dysfonctionnelles chez les personnes atteintes de diabète, les scientifiques ont cherché d’autres cellules qui pourraient être incitées à fabriquer cette hormone vitale de régulation du glucose. Dans une étude publiée dans Nature Medicine, des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences et de la Yale School of Medicine ont découvert des cellules productrices d’insuline dans un endroit inattendu, l’intestin du fœtus. Cette découverte pourrait ouvrir de nouvelles voies pour le développement futur de traitements potentiels du diabète.

Lorsque le fœtus grandit dans l’utérus, beaucoup de ses cellules sont indécises quant à leur futur destin, et leur identité reste fluide pendant un certain temps. C’est notamment le cas des cellules de l’intestin du fœtus :au cours du deuxième trimestre de la gestation, l’intestin est déjà complètement formé, mais tant que le fœtus est dans l’utérus, il n’a pas besoin d’absorber les aliments ou de prévenir les infections. Le professeur Shalev Itzkovitz, du Département de Biologie Cellulaire Moléculaire de Weizmann, s’est associé au professeur Liza Konnikova, pédiatre à l’école de médecine de Yale, pour découvrir les tâches inhabituelles – par exemple, la production d’insuline – que pourraient assumer les cellules intestinales du fœtus, qui ne sont pas encore encombrées par leurs futures tâches.


(de gauche à droite) Prof. Shalev Itzkovitz et Adi Egozi. Création d’un atlas des cellules intestinales fœtales

 

Dans l’étude présentée ici, le doctorant Adi Egozi, et les équipes de Weizmann et de Yale ont créé un atlas des cellules intestinales fœtales en utilisant une technologie avancée appelée séquençage unicellulaire de l’ARN. Cette technologie permet de créer des profils de l’ensemble de l’expression génétique dans des milliers de cellules individuelles simultanément. Les chercheurs ont ensuite comparé ces profils avec ceux des cellules de l’intestin de nouveau-nés. Ils ont accordé une attention particulière aux cellules productrices d’hormones, qui ne représentent qu’environ 1 % de l’ensemble des cellules intestinales mais sont extrêmement importantes car elles libèrent des hormones qui jouent un rôle crucial dans la régulation du métabolisme de l’organisme.

En effet, l’étude comparative a mis en évidence des cellules fœtales de type K/L qui exprimaient le gène de l’insuline dans l’intestin grêle. Jusqu’à présent, ce gène n’était connu que pour être exprimé dans les cellules bêta du pancréas. Les intestins grêles des nouveau-nés contenaient également des cellules de type K/L, mais contrairement aux cellules intestinales fœtales, elles n’exprimaient pas l’insuline.

Les scientifiques ont appelé les cellules nouvellement identifiées FIKL, où F signifie fœtus et I, insuline. Ces cellules ne représentent qu’environ 2 % des cellules productrices d’hormones dans l’intestin fœtal, soit 0,0002 de toutes les cellules intestinales, mais elles sont présentes en nombre relativement important car la paroi de l’intestin humain couvre une surface énorme. (Etirée à plat, la paroi de l’intestin d’un adulte a la taille d’un terrain de badminton).

Outre le gène de fabrication de l’insuline, les cellules FIKL expriment tout un programme moléculaire susceptible de soutenir l’activité de l’hormone, y compris des gènes pour détecter le glucose et assurer la libération de l’insuline par la cellule. De plus, les cellules FIKL fabriquent de l’insuline en grande quantité. Tout comme dans les cellules bêta, leur gène de l’insuline était extrêmement actif, produisant des dizaines de milliers de copies de molécules d’ARN messager, un nombre bien supérieur à la moyenne des gènes du génome humain, qui est d’environ dix copies par gène à la fois. Un autre parallèle avec les cellules bêta est apparu lorsque les scientifiques ont réalisé des images de l’ARN et d’autres molécules à l’intérieur des cellules : les cellules bêta et FIKL étaient disposées de manière similaire, de sorte que l’ARN messager de l’insuline était orienté vers le centre de la cellule, tandis que l’hormone elle-même s’accumulait sur le côté extérieur de la cellule, facilitant sa libération.

« Ces parallèles avec les cellules bêta du pancréas sont logiques, car le pancréas et l’intestin grêle proviennent du même tissu chez le fœtus en pleine croissance, vers la cinquième semaine de gestation », explique  le Prof. Itzkovitz.

La raison pour laquelle l’intestin du fœtus contient des cellules productrices d’insuline n’a pas encore été élucidée. Les cellules étudiées provenaient d’une banque de tissus fœtaux, et l’état de santé de leurs mères était inconnu. La grossesse modifie parfois les taux d’insuline et de glucose de la mère. Il est donc possible que le programme d’insuline ait été activé en réponse au diabète gestationnel de la mère, pour aider le fœtus à faire face à des taux de glucose élevés dans le sang de la mère. L’insuline produite par l’intestin pourrait également avoir un effet local, en favorisant la croissance de l’intestin qui se développe rapidement.


Dans les cellules FIKL de l’intestin grêle (à gauche) et dans les cellules bêta du pancréas (àdroite), les molécules d’ARNm permettant de fabriquer l’insuline (en magenta) se trouvent plus près du centre de la cellule, tandis que l’insuline elle-même (en vert) s’accumule du côté extérieur de la cellule, d’où elle sera libérée.

 

On ignore également ce qui désactive le programme de production d’insuline à la naissance. Toutefois, la question cruciale, selon le prof. Itzkovitz, est de savoir s’il peut être réactivé.

« Peut-être qu’un jour, ce programme dormant de fabrication d’insuline pourra être réveillé chez les personnes atteintes de diabète », déclare le prof. Itzkovitz. « Si c’est le cas, les cellules de la muqueuse intestinale pourraient constituer une merveilleuse source d’insuline, car elles sont constamment renouvelées – ce serait un avantage particulier pour les personnes atteintes de diabète de type 1, dont les cellules productrices d’insuline sont continuellement détruites par le système immunitaire. »

Chez les personnes atteintes de diabète de type 2, les cellules bêta sont également souvent perdues parce qu’elles s’effondrent sous le poids de la gestion des taux de glucose élevés. Jusqu’à présent, la recherche sur le traitement du diabète par des greffes de cellules pour remplacer les pertes s’est principalement appuyée sur l’utilisation de cellules souches ou sur l’ingénierie de cellules autres que les cellules bêta pour produire de l’insuline.

« L’avantage des cellules FIKL que nous avons découvertes est qu’elles contiennent naturellement un programme fonctionnel de production d’insuline », explique le prof. Konnikova. « Si nous parvenons à trouver des indices qui régulent ce programme, nous pourrons peut-être un jour l’activer en fonction des besoins. »

La science en chiffres : L’atlas intestinal fœtal créé dans le cadre de l’étude comprend quelque 36 000 cellules.

Les recherches du professeur Shalev Itzkovitz sont soutenues par le Helen and Martin Kimmel Institute for Stem Cell Research, le Wolfson Family Charitable Trust & Wolfson Foundation et la fondation Edmond de Rothschild.



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