Un mécanisme d’équilibre essentiel : les neurones s’adaptent pour rester stables

Une étude sur des neurones cultivés en laboratoire révèle un nouveau mécanisme de régulation permettant de maintenir l’équilibre des interrupteurs de notre cerveau.

Notre cerveau possède des interrupteurs pour chacune de ses activités et maintenir leur équilibre est indispensable pour notre santé et notre bien-être. Par exemple, l’épilepsie se produit quand les interrupteurs se mettent en position « Allumé »de façon incontrôlable ; à l’inverse, les personnes atteintes de Parkinson ont du mal à utiliser leurs muscles car de trop nombreux interrupteurs sont en position « Éteint » dans les régions motrices du cerveau. Dans les circuits de la mémoire, un excès d’interrupteurs « Allumé » peut faire resurgir aléatoirement des souvenirs hors sujet comme dans le cas de troubles post-traumatiques, tandis que trop d’interrupteurs « Éteint» peut nous empêcher de nous souvenir de quoi que ce soit.

Dans une nouvelle étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences, en collaboration avec des scientifiques de l’université de Tübingen, ont révélé comment le cerveau maintient cet équilibre entre interrupteurs allumés et éteints. Ils ont découvert que cet équilibre est programmé dans les mécanismes basiques de connexion des neurones les uns aux autres.

Clarifier la relation entre interrupteurs allumés et éteints – ou, en termes scientifiques, entre excitation et inhibition – est la clef pour comprendre comment opèrent les réseaux de calcul du cerveau, et comment corriger un équilibre faussé entre excitation et inhibition. En fait, depuis des dizaines années, certains médicaments affectent cet équilibre – le Valium par exemple, ou d’autres médicaments contre l’anxiété qui fonctionnent en augmentant l’inhibition. Cependant, jusqu’à présent, il n’existait aucune façon d’étudier l’équilibre entre excitation et inhibition dans le détail ; on ne pouvait qu’altérer cet équilibre par des traitements et non construire expérimentalement des réseaux avec des ratios d’excitation et d’inhibition fixés. Cette nouvelle étude donne des outils permettant de manipuler les constituants excitateurs et inhibiteurs du réseau en termes quantitatifs dès le départ. Cela permet d’explorer les interactions entre les deux composants opposés avec une précision sans précédent.

Des neurones de souris – excitateurs (à gauche) et inhibiteurs (à droite) – vus sous un microscopeDes neurones de souris – excitateurs (à gauche) et inhibiteurs (à droite) – vus sous un microscope

Pour cette étude, des chercheurs de trois domaines différents ont uni leurs efforts : le professeur Elisha Moses, physicien expérimental du Département de Physique des Systèmes Complexes de l’Institut Weizmann des Sciences, et deux de ses étudiants, Nirit Sukenik et Eyal Weinreb, le professeur Menahem Segal, neuroscientifique du Département de Neurobiologie de l’Institut Weizmann des Sciences et le professeur Anna Levina, physicienne théorique, et son étudiant Oleg Vinogradov, de l’université de Tübingen.

En laboratoire, Nirit Sukenik a cultivé deux types de neurones – excitateurs et inhibiteurs – venant du cerveau d’une souris, les maintenant en vie pendant plusieurs semaines. Cela a laissé largement le temps aux neurones de créer un réseau de connexions, leur permettant de se transmettre des signaux les uns aux autres. C’est quelque chose que les neurones en culture ont tendance à faire même en l’absence de stimulus externe, comme les neurones dans nos cerveaux qui s’engagent dans une activité en arrière plan même quand nous sommes assis les yeux fermés. (Nous ne savons pas encore quelles fonctions sont accomplies par cette activité d’arrière-plan mais d’après certaines études, elle servirait à transmettre des informations d’une région du cerveau à une autre – par exemple pour consolider des expériences apprises et des souvenirs.)

Que ce soit in vitro ou dans le cerveau, l’activité du réseau neuronal consiste en des impulsions coordonnées impliquant de nombreux neurones. Elle est initiée par les cellules excitatrices, qui composent environ 80% des neurones du cerveau des mammifères, et est éventuellement stoppée par les cellules inhibitrices, qui composent plus ou moins les 20% restants. Les scientifiques voulaient savoir ce qui arrivait au rythme des impulsions quand le rapport entre neurones excitateurs et inhibiteurs était modifié. Nirit Sukenik a travaillé avec des souris génétiquement modifiées chez lesquelles les neurones inhibiteurs produisaient un marqueur rouge fluorescent, et elle a utilisé ce marquage pour séparer les neurones inhibiteurs et excitateurs, permettant ainsi de les recombiner dans n’importe quelles proportions avant de les placer en culture.

Les chercheurs ont progressivement augmenté la proportion de neurones inhibiteurs, passant de 0 à 100%. L’analyse de l’activité des neurones puis la comparaison de leurs résultats à des modèles informatiques leur a réservé une surprise majeure.

(de gauche à droite) Nirit Sukenik, le professeur Menahem Segal, le professeur Elisha Moses et Eyal Weinreb
(de gauche à droite) Nirit Sukenik, le professeur Menahem Segal, le professeur Elisha Moses et Eyal Weinreb

« Tous les fabricants de circuits savent que le contrôle est mieux maintenu par une rétroaction qui repose à la fois sur des entrées positives (excitateurs) et négatives (inhibiteurs). Nous pensions donc observer d’immenses changements dans l’activité du réseau quand nous avons altéré substantiellement le ratio entre cellules excitatrices et inhibitrices, » dit le professeur Moshes. « Mais nous n’avons rien observé de tel. »

L’expérience, couplée au modèle, a révélé que les neurones possédaient le même taux d’impulsion quand les neurones inhibiteurs représentaient entre 10% et 90% de l’ensemble des cellules. L’activité changeait uniquement quand le nombre de neurones inhibiteurs chutait sous les 10% ou dépassait les 90%.

Au cours des expériences suivantes concentrées sur des cellules individuelles, le professeur Segal a révélé que les neurones en culture compensaient les changements de ratio entre excitateurs et inhibiteurs en réduisant ou en augmentant le nombre de connexions entre eux. Ainsi, quand le pourcentage d’inhibiteurs augmente, le nombre de connexion chute, afin que l’équilibre entre signaux excitateurs et inhibiteurs reste constant.

Maintenant que nous savons que les connexions entre les neurones d’un cerveau vivant subissent des fluctuations en permanence, les scientifiques pensent qu’en adaptant le nombre des connexions en conséquence, le cerveau peut passer outre les perturbations du ratio entre neurones excitateurs et inhibiteurs. Cette adaptation pourrait lui permettre de continuer à fonctionner normalement quand certains des neurones excitateurs ou inhibiteurs sont endommagés ou éloignés de leur niveau habituel.

Différents pourcentages de neurones inhibiteurs (en rouge) et excitateurs (en gris) dans une culture de laboratoire : à gauche : 0% ; au centre : 50% ; à droite : 100%Différents pourcentages de neurones inhibiteurs (en rouge) et excitateurs (en gris) dans une culture de laboratoire : à gauche : 0% ; au centre : 50% ; à droite : 100%

Le professeur Segal fait remarquer que le cerveau humain n’a pas besoin d’être malade pour ressentir un déséquilibre entre neurones excitateurs et inhibiteurs. Par exemple, les excitateurs ou les inhibiteurs peuvent être substantiellement affectés par des stimuli extérieurs comme une anesthésie, un stress ou encore la consommation d’alcool ou de café en grande quantités.

« Maintenir un équilibre stable entre excitation et inhibition est tellement fondamental qu’il est normal que le cerveau possède des mécanismes d’adaptation puissants afin de maintenir en place cet équilibre, » dit le professeur Segal.

La science en chiffes

Le cerveau humain possède environ 100 000 000 000 de neurones, et chacun communique avec environ 1 000 cellules différentes

Les recherches du professeur Elisha Moses sont financées par la chaire professorale Maurice et Ilse Katz, le Centre Clore pour la Physique Biologique et la succession Emile Mimran.

Les recherches du professeur Menahem Segal sont financées par le Centre Clore pour la Physique Biologique.



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