La Grande Oxygénation a-t-elle été si « grande » que ça ?

Une étude sur l’évolution des enzymes suggère que les formes de vie savaient utiliser l’oxygène bien avant cet évènement majeur

Il y a environ 2,5 milliards d’années, notre planète a vécu ce qui est sûrement le plus gros changement de son histoire : d’après les données géologiques, de l’oxygène moléculaire est subitement devenu disponible partout. Les preuves de cette Grande Oxygénation (GO) sont clairement visibles, par exemple dans les formations de fer rubanées qui contiennent du fer oxydé. Bien entendu, la GO est ce qui a permis l’évolution d’organismes utilisant de l’oxygène – qui respirent – et ceci jusqu’à nous. Mais était-ce vraiment un « grand évènement », radical et soudain, ou bien  les organismes vivants à l’époque utilisaient-ils déjà de l’oxygène à des niveaux plus faibles ?


Des gisements de fer rubané comme celui-ci sont des indices de la Grande Oxygénation

Le professeur Dan Tawfik du Département de Sciences Biomoléculaires de l’Institut Weizmann des Sciences explique que la datation de la GO est indiscutable tout comme le fait que l’oxygène moléculaire a été produit par des microorganismes photosynthétiques. Chimiquement parlant, l’énergie issue de la lumière divise l’eau en protons (les ions hydrogène) et en oxygène. Les électrons produits par ce processus sont utilisés pour former des composés stockant l’énergie (les sucres) et de l’oxygène, un sous-produit, qui a été initialement libéré dans l’environnement.

Cependant, une question demeurait sans réponse : le début de la production d’oxygène coïncide-t-elle avec la GO ou les organismes avaient-ils avant cela accès à de l’oxygène ? Certains pensent que l’oxygène moléculaire n’était pas disponible avant la GO car la composition de l’atmosphère et des océans aurait fait que tout l’oxygène libéré par photosynthèse pendant cette période aurait immédiatement réagi avec leurs constituants. Cependant, d’autres suggèrent qu’une partie de l’oxygène produit par les microorganismes photosynthétiques serait restée libre suffisamment longtemps pour que les organismes non photosynthétiques puissent le consommer, avant même la GO. De nombreuses théories entre ces deux hypothèses existent également comme des « oasis » ou des « vagues » éphémères d’oxygénation atmosphérique.

Jagoda Jabłońska, étudiante chercheuse dans l’équipe du professeur Tawfik, pensait que leur sujet d’étude – l’évolution des protéines – pourrait aider à résoudre ce problème. En fait, en suivant quand et comment différentes protéines ont évolué, elle et le professeur Tawfik pourraient trouver quand les organismes vivants ont commencé à utiliser l’oxygène. De tels arbres phylogénétiques sont largement utilisés pour découvrir l’histoire des espèces, ou les familles humaines, mais aussi les familles de protéines et Jagoda Jabłońska a décidé d’utiliser une approche similaire pour mettre à jour l’évolution des enzymes basées sur l’oxygène.


Le professeur Dan Tawfik et Jagoda Jabłońska

Pour démarrer cette étude, Jagoda Jabłońska a trié près de 130 familles d’enzymes connues qui produisent ou utilisent de l’oxygène chez les bactéries et les archées – des formes de vie ayant vécu à l’Archéen (la période entre l’émergence de la vie il y a 4 milliards d’années et la GO). Parmi celles-ci, elle en a sélectionné environ la moitié pour lesquelles la plupart des membres de la famille consommait ou émettait de l’oxygène et ceci comme une fonction fondamentale. Ainsi, le tout premier membre de la famille avait dû être une enzyme à oxygène. Parmi cette sélection, elle en a choisi 36 dont l’histoire évolutionnaire pouvait être retracée entièrement et sans ambigüité. « Bien sûr, c’était loin d’être simple, » dit le professeur Tawfik. « Des gènes peuvent se perdre chez certains organismes, donnant l’impression qu’ils sont apparus plus tard pour les membres chez lesquels ils ont persisté. Et les microorganismes partagent leurs gènes horizontalement, mélangeant les arbres phylogénétiques et menant à une surestimation de l’âge des enzymes. Nous avons dû corriger ce dernier point en particulier. »

Les arbres phylogénétiques finalement obtenus par les chercheurs ont montré une évolution d’enzymes basées sur l’oxygène il y a environ 3 milliards d’années – soit environ un demi-milliard d’années avant la GO. En étudiant plus précisément cette période, les scientifiques ont découvert que, plutôt que de coïncider avec la consommation d’oxygène atmosphérique, cette évolution datait de la période au cours de laquelle les bactéries ont quitté les océans et ont commencé à coloniser les terres. Quelques enzymes utilisant de l’oxygène étaient même plus anciennes. Si l’utilisation d’oxygène avait coïncidé avec la GO, les enzymes qui l’aurait utilisé auraient évolué plus tard donc ces découvertes soutiennent l’hypothèse que l’oxygène était déjà connu de nombreuses formes de vies avant la GO.

Le scénario proposé par Jagoda Jabłońska et le professeur Tawfik ressemble à celui-ci : l’oxygène est l’un des éléments chimiques les plus réactifs du milieu. Comme l’extrémité d’une pile, il accepte les électrons fournissant ainsi un pouvoir métabolique supplémentaire. Cela le rend extrêmement utile pour de nombreuses formes de vie mais également potentiellement nuisible. Ainsi, les organismes photosynthétiques et ceux qui vivent dans leur entourage doivent développer rapidement des façons efficaces de disposer de l’oxygène produit. Ceci explique l’émergence d’enzymes consommant l’oxygène qui vont ainsi enlever l’oxygène moléculaire des cellules. Les déchets d’un microorganisme sont donc la source de vie potentielle d’un autre. La réactivité unique de l’oxygène a aussi permis aux organismes de décomposer et d’utiliser des molécules « résilientes » comme les molécules aromatiques ou les lipides, ainsi les  ce qui a permis aux enzymes qui prennent et utilisent l’oxygène ont de commencer à évoluer peu après.


« L’arbre généalogique » d’une enzyme a révélé quand les premiers organismes ont commencé à utiliser l’oxygène

Le professeur Tawfik dit : « Cela confirme l’hypothèse que l’oxygène est apparu et a persisté dans la biosphère bien avant la GO. Il a fallu du temps pour atteindre le niveau maximal de la GO, mais à ce moment-là, l’oxygène était déjà bien connu dans la biosphère. »

Jagoda Jabłońska ajoute : « Nos recherches présentent une toute nouvelle méthode de datation de l’émergence de l’oxygène qui permet de comprendre la façon dont la vie telle que nous la connaissons a évolué. »

Les recherches du professeur Dan Tawfik sont financées par le Zuckerman STEM Leadership Program. Le professeur Tawfik est détenteur de la chaire professorale Nella et Leon Benoziyo.



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