Ces champignons invisibles qui aident la forêt

Les réseaux mycorhiziens transfèrent le carbone d’arbre en arbre, même entre espèces différentes.

Ces champignons invisibles qui aident la forêt
 
(de gauche à droite) Le docteur Tamir Klein et Ido Rog

Une alliance secrète cachée dans les profondeurs du sol de la forêt a récemment été déterrée par des scientifiques de l’Institut Weizmann des Sciences. Le docteur Tamir Klein et le doctorant Ido Rog du département des sciences environnementales et botaniques ont découvert des réseaux complexes de champignons connectant entre-elles les racines de différentes espèces d’arbres. Ces réseaux mycorhiziens permettent aux arbres d’échanger des minéraux, des nutriments, de l’eau et du carbone et les arbres fournissent du carbone aux champignons en échange. Bien que les relations symbiotiques entre arbres et champignons soient connues depuis des dizaines d’années, c’est la première fois que l’on observe différentes espèces d’arbres qui coopèrent en utilisant un réseau sous-terrain de champignons en milieu naturel. Ces découvertes apportent de nouveaux arguments à la tendance actuelle qui oblige les écologistes à modifier leur raisonnement sur le contrôle du transfert de carbone dans la forêt.

C’est lors d’un passage en Suisse au cours de son postdoctorat que le docteur Klein a mis en place le terreau – pour ainsi dire – de sa découverte actuelle. Pourtant, tout a démarré 40 mètres au-dessus du sol : le docteur Klein avait initialement prévu d’utiliser une grue pour installer des instruments de mesure au-dessus de la canopée. Lors de ses expériences, il a découvert que le carbone était transféré entre les arbres matures voisins de différentes espèces, notamment l’épicéa, le pin, le bouleau et le mélèze. Mais ces mesures n’avaient pas de sens : les arbres stockaient plus de carbone que ce qu’il avait calculé en prenant en compte l’émission et les apports de carbone au niveau de la canopée.

Alors que le docteur Klein cherchait la trace du composés manquants du stock de carbone, Ido Rog a fait son apparition. Depuis quatre ans, Ido creusait consciencieusement le sol rocailleux, excavant les fines racines et les suivant attentivement afin d’identifier à quels arbres elles appartenaient. Après avoir installé des appareils profondément dans le sol et utilisé des techniques de séquençage de nouvelle génération, Ido a analysé plus de 1000 extrémités de racines venant de 12 individus appartenant à quatre espèces d’arbre (épicéa, pin, bouleau et mélèze). Il a pu quantifier la quantité de carbone transférée entre les arbres et identifier l’espèce de champignon responsable.

 Ces « ectomycorhizes » (des champignons symbiotiques) sont connus pour leurs relations particulières avec les arbres. Leur importance dans la toile de l’écologie de la forêt a longtemps été reconnue mais personne n’avait imaginé jusqu’ici que les arbres les utilisaient comme des canalisations pour partager du carbone. « Parmi les espèces de champignons échantillonnées, nous avons identifié au moins huit espèces différentes qui sont généralistes et communes aux quatre espèces d’arbres que nous avons analysées. 90% d’entre-elles sont au moins associées à deux espèces hôtes, » dit Ido Rog. « Nous avons aussi découvert que les arbres plus étroitement apparentés, comme l’épicéa et le pin, possédaient un mélange similaire d’espèces de champignons connectés aux extrémités de leurs racines et partageaient plus de carbone entre-eux qu’avec les arbres d’espèces moins proches comme le bouleau et le mélèze. Mais globalement, le carbone est échangé entre toutes les espèces. »

Du point de vue des arbres, le partage du carbone devrait se faire logiquement entre les arbres d’une même espèce, leur donnant un avantage évolutif sur les autres. Cela suggère que l’évolution de la forêt se fait à un autre niveau que les simples liens de parenté entre les arbres.

Ces champignons invisibles qui aident la forêt
Ce champignon qui se développe dans une parcelle de forêt mixte près de Beit-Shemesh, Israël, joue un rôle dans le transfert du carbone au sein du réseau de la forêt

« Le fait que les arbres ‘partagent leurs richesses’ quelle que soit leur espèce suggère l’existence d’une sorte ‘d’organisation cachée’. Nous pensons que cette organisation est dominée par les champignons, » dit le docteur Klein. « Les champignons ont besoin de sécuriser leurs propres sources de carbone ; c’est donc dans leur intérêt de s’assurer que tous les arbres du réseau sont forts et en bonne santé. » Si les champignons menaient la danse, ils pourraient diriger les ressources vers les arbres en fonction de leurs besoins. Les actions des champignons peuvent être particulièrement bénéfiques pour une forêt sujette à un stress comme le changement climatique, la sécheresse, les incendies ou les maladies ; la forêt serait ainsi plus résiliente.

Afin de tester leurs hypothèses, les scientifiques ont poursuivi leurs recherches suivant cette voie au sein des forêts israéliennes. Ils se sont concentrés sur le caroubier qui garde des feuilles d’un beau vert brillant même dans des conditions de sécheresse intense. Ido Rog : « D’après les légendes historiques et bibliques, le caroubier a des ‘pouvoirs mystérieux’ lui permettant de survivre dans un climat semi-aride. Les champignons sont peut-être son secret ? » Les scientifiques ont découvert que, quand un caroubier est planté dans une forêt mixte de chênes, conifères et pins, il prend aussi part au réseau mycorhizien. Les chercheurs commencent à découvrir les espèces particulières de champignons qui connectent les caroubiers aux autres espèces d’arbres.

Dans le cadre d’une autre expérience, les scientifiques ont prévu de provoquer des conditions de sécheresse dans une petite zone afin d’étudier le rôle des champignons dans un système forestier confronté à une perturbation écologique.

Le docteur Klein : « Sur le plan théorique, nos découvertes modifient notre compréhension de l’écologie forestière, et les scientifiques commencent à réaliser que les arbres sont plus collaboratifs que ce que l’on pensait. Sur le plan pratique, nous travaillons avec le Keren Kayemet LeYisrael – Jewish National Fund (KKL – JNF) pour encourager le mélange d’espèces d’arbres dans les forêts d’Israël dans le but de construire de meilleures résilience et stabilité écologiques. »

Les recherches du docteur Tamir Klein sont financées par le Centre canadien pour la recherche sur les énergies alternatives Mary et Tom Beck, l’Institut pour la médecine moléculaire Y. Leon Benoziyo, le fonds pour les nouveaux scientifiques de la fondation caritative Larson, le projet Yotam, Dana et Yossie Hollander, la succession Emile Mimran, la succession Helen Nichunsky et le conseil européen pour la recherche. Le docteur Klein est détenteur de la chaire pour le développement de carrière Edith et Nathan Goldenberg.



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