Des cellules dans les cellules : ces bactéries qui vivent dans les cellules cancéreuses

Les bactéries qui habitent les cellules cancéreuses pourraient empêcher ou favoriser les traitements.


Des bactéries (en vert) s’installent dans des cellules cancéreuses et se blottissent dans les parois du noyau

Les cellules cancéreuses constituent des refuges confortables pour les bactéries. Cette conclusion provient d’une étude précise sur plus de 1 000 échantillons de tumeurs de différents cancers humains. Dirigée par des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences, cette étude a montré que des bactéries habitent les cellules de tous les types de cancers – du cancer du cerveau à celui des os, en passant par le cancer du sein – les chercheurs ont même identifié des populations spécifiques de bactéries résidant dans chaque type de cellules cancéreuses. Ces recherches suggèrent que comprendre la relation entre les cellules cancéreuses et leurs « mini-microbiomes » pourrait aider à prédire l’efficacité potentielle de certains traitements ou à améliorer l’efficacité de traitements anticancéreux en manipulant ces bactéries. Les découvertes de cette étude ont été publiées dans Science.

Il y a quelques années, le docteur Ravid Straussman, du département de biologie cellulaire et moléculaire de l’Institut, a découvert des bactéries qui se cachaient dans les cellules des tumeurs pancréatiques. Ces bactéries protègent les cellules cancéreuses des médicaments de chimiothérapie en les « digérant » et en les inactivant. Le docteur Straussman et son équipe se sont alors demandé s’il était habituel que des bactéries logent dans les cellules tumorales après que d’autres études aient montré qu’il y a des bactéries dans les tumeurs cérébrales. Afin de vérifier cette hypothèse, le docteur Deborah Nejman et le docteur Ilana Livyatan, de l’équipe du docteur Straussman, et le docteur Garold Fuks, du département de physique des systèmes complexes, ont travaillé avec une équipe d’oncologues et de chercheurs du monde entier. Cette étude a aussi été dirigée par le docteur Noam Shental du département mathématiques et informatique de l’université ouverte d’Israël.

L’objectif à terme de l’équipe est de réaliser une étude détaillée des bactéries qui vivent dans ces cancers : les cancers du cerveau, des os, des seins, des poumons, des ovaires, du pancréas, le cancer colorectal et les mélanomes. Ils ont découvert que chaque type de cancer, de celui du cerveau à celui des os, abrite différentes espèces de bactéries. Et le cancer du sein est celui qui présente le plus grand nombre et la plus grande diversité de bactéries. L’équipe a démontré qu’on rencontre beaucoup plus de bactéries dans les tumeurs mammaires que dans les tissus sains qui les entourent, et que certaines bactéries se trouvent préférentiellement dans les tissus des tumeurs plutôt que dans les tissus sains environnants.


Cette image prise au microscope électronique révèle les bactéries qui vivent dans une cellule tumorale

Avant d’arriver à ces résultats, l’équipe a dû surmonter plusieurs difficultés. Par exemple, la masse de bactéries dans un échantillon tumoral est relativement faible et les chercheurs ont dû trouver des façons de se concentrer sur ces petites cellules contenues dans d’autres cellules. Ils ont du aussi éviter toute contamination venant de l’extérieur. Pour y parvenir, ils ont utilisé des centaines de contrôles négatifs et ont créé une série de filtres informatiques pour enlever toute trace des bactéries extérieures aux échantillons tumoraux.
L’équipe a réussi à cultiver des bactéries directement à partir de tumeurs mammaires humaines et leurs résultats ont prouvé que les bactéries situées dans ces tumeurs sont vivantes. À l’aide d’un microscope électronique, les chercheurs ont visualisé ces bactéries et ont démontré qu’elles préféraient se regrouper à proximité du noyau des cellules cancéreuses.

Différentes cellules pour différentes bactéries

L’équipe a aussi remarqué que ces bactéries se retrouvaient également dans les cellules immunitaires qui résident dans les tumeurs. « Certaines de ces bactéries pourraient améliorer la réponse immunitaire au cancer tandis que d’autres pourraient l’inhiber – une découverte qui pourrait permettre de comprendre l’efficacité de certaines immunothérapies, » dit le docteur Straussman. En effet, quand l’équipe a comparé les bactéries d’un groupe d’échantillons de mélanomes, elle a découvert que les tumeurs répondant à l’immunothérapie contenaient un certain type de bactéries en grande quantité, contrairement aux tumeurs répondant mal au traitement.

Le docteur Straussman pense que cette étude peut aussi commencer à expliquer pourquoi certaines bactéries aiment les cellules cancéreuses et pourquoi chaque cancer possède son propre microbiome. Apparemment, les différences s’expliquent par les infrastructures variées offertes par chaque type de cellule cancéreuse. En fait, les bactéries se nourrissent de certains métabolites surproduits ou stockés dans certains types de tumeurs. Par exemple, quand l’équipe a comparé les bactéries présentes dans les tumeurs de poumons de patients fumeurs et dans celles de patients non-fumeurs, ils ont découvert des différences. Et ces différences ont été encore plus claires quand les chercheurs ont comparé les gènes de ces deux groupes de bactéries : les gènes des bactéries des cellules cancéreuses des fumeurs métabolisant la nicotine, le toluène, le phénol et autres produits présents dans les cigarettes étaient plus nombreux que chez les patients non-fumeurs.

Afin de montrer de plus que les cancers les plus communs accueillaient des populations uniques de bactéries dans leurs cellules, les chercheurs ont développé une méthode pour identifier les microbiomes typiques de chaque type de cancer. Ceci pourrait être utilisé pour répondre à certaines questions cruciales sur le rôle de ces bactéries : 
sont-elles des parasites des métabolites excédentaires des cellules cancéreuses ou rendent-elles service à la cellule ? 
Quand élisent-elle résidence dans les cellules cancéreuses ?
Comment aident-elles ou empêchent-elle la croissance du cancer ?
Comment influencent-elles la réponse des cellules cancéreuses aux traitements ?

« Les tumeurs sont des écosystèmes complexes connus pour contenir, en plus des cellules cancéreuses, des cellules immunitaires, des cellules stromales, des vaisseaux sanguins, des nerfs et d’autres composants. C’est ce qu’on appelle le microenvironnement tumoral. Nos études, comme celles d’autres laboratoires, ont clairement démontré que les bactéries constituent une partie intégrante du microenvironnement tumoral. En trouvant comment les bactéries se positionnent exactement dans l’écologie tumorale générale, nous espérons trouver de nouvelles façons de traiter le cancer, » dit le docteur Straussman.

Les recherches du docteur Ravid Straussman sont financées par la chaire pour le développement de carrière Roel C. Buck, le Centre intégré contre le cancer Moross, le fonds de dotation en biologie Maurice et Vivienne Wohl, le fonds de recherche pour l’humanité des familles Fabricant-Morse, le fonds pour la recherche Chantal d’Adesky-Scheinberg, la fondation Rising Tide et le Conseil européen pour la recherche.



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