Faire tourner des Médicaments, des Engrais et des Pesticides pour les rendre plus sûrs

Trier magnétiquement les molécules orientées à gauche de celles orientées à droite pourrait améliorer les processus industriels.

La nouvelle méthode utilise le spin des électrons de molécules chirales polarisées pour les séparer les unes des autres

Il y a plus d’un siècle, après avoir découvert que les systèmes vivants ont une préférence pour les molécules « droitières » ou « gauchères » – qui font tourner le plan de polarisation de la lumière vers la droite ou vers la gauche -,  Louis Pasteur a suggéré qu’il serait possible d’altérer la « latéralité » moléculaire par une exposition à un champ magnétique. À l’inverse, Lord Kelvin croyait que le magnétisme n’avait rien à voir avec la latéralité, pour laquelle il a inventé le terme scientifique de « chiralité ». Dans une étude récemment publiée dans Science, des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences et de l’Université Hébraïque de Jérusalem ont mis un terme à ce débat sur le magnétisme et la chiralité – ou, comme ils l’ont eux-mêmes présenté, « au débat centenaire entre deux géants de la science » : en fin de compte, c’est Pasteur qui était sur la bonne voie.  Leur découverte a mené à une nouvelle méthode de séparation des molécules qui se base sur leur chiralité, un enjeu d’importance capitale pour l’industrie pharmaceutique et chimique.

Les molécules chirales ont une structure identique mais sont le reflet l’une de l’autre dans un miroir, comme notre main droite et notre main gauche. Elles peuvent sembler identiques, mais les molécules de chiralité opposée peuvent avoir des propriétés complètement différentes. Par exemple, une molécule d’un type de chiralité peut servir de médicament tandis que celle avec la chiralité inverse peut provoquer des effets secondaires indésirables. Puisque la plupart des réactions chimiques produisent aléatoirement des molécules orientées à droite et à gauche, la fabrication de médicaments nécessite des étapes intermédiaires durant lesquelles ces molécules sont triées par chiralité.

En fin de compte, c’est Pasteur qui était sur la bonne voie

Les méthodes actuellement utilisées pour séparer les molécules selon leur chiralité sont complexes et coûteuses : elles utilisent des équipements qui doivent être adaptés à chaque nouvelle substance. Le Professeur Ron Naaman du Département de Physique Biologique et Chimique de l’Institut Weizmann, le Professeur Yossi Paltiel de l’Université Hébraïque et leurs collègues ont inventé une méthode générale pour trier les molécules chirales de n’importe quelle substance, simplement et à faible coût.

Les scientifiques ont utilisé le fait que la chiralité a un effet sur la propriété des électrons appelée spin – un ouvement de rotation qui peut être soit « spin up », soit « spin down », comme l’est la rotation d’une toupie dans le sens des aiguilles d’une montre ou dans le sens inverse. Quand des molécules chirales interagissent avec une surface, elles se polarisent par le  déplacement des électrons d’un côté de la molécule vers l’autre. Au cours de ce mouvement, les électrons se comportent comme si un champ magnétique agissait sur eux : les électrons « spin up » se regroupent d’un côté de la molécule et ceux « spin down » de l’autre. Le spin des électrons qui se regroupent d’un certain côté dépend de la chiralité de la molécule, c’est-à-dire si par sa structure elle dévie la lumière à droite ou à gauche. Ce phénomène, découvert auparavant par le groupe du Professeur Naaman, est connu comme la sélectivité de spin induite par la chiralité (en anglais, « chirality induced spin selectivity » ou CISS). Cela signifie que les molécules chirales peuvent agir comme des filtres de spin.

 


Une surface magnétique attire les molécules orientées à droite (sur la droite) d’un matériel biologique appelé oligopeptide, mais pas celles orientées à gauche (sur la gauche). Images de microscopie électronique.

Les scientifiques ont proposé d’exploiter la CISS pour trier les molécules d’une substance selon leur chiralité. Ils ont introduit une surface magnétique – dans laquelle les spins de tous les électrons sont alignés dans la même direction – dans une solution contenant des molécules orientées à droite et à gauche. Quand les molécules se sont approchées de la surface magnétique, elles se sont polarisées quand elles ont attiré ou repoussé les électrons, et le spin des électrons de chaque pôle s’est accordé à la chiralité de chaque molécule. Certains électrons avaient le même spin que les électrons de la surface magnétique, d’autres un spin opposé. Seules les molécules ayant un spin opposé – et donc cette chiralité particulière – sont restées collées à la surface magnétique ; celles avec un spin identique ont été repoussées. L’interaction avec la surface magnétique a ainsi permis la séparation de molécules selon leur chiralité, confortant la théorie de Pasteur, selon laquelle les forces physiques agissant sur les molécules, comme un champ magnétique, sont liées à leur chiralité.

Cette méthode peut être utilisée pour purifier des médicaments en ne gardant que les molécules thérapeutiques et en enlevant celles qui sont dangereuses. Elle peut aussi être utilisée pour produire des produits chimiques, des engrais ou des pesticides, plus efficaces. Dans ces produits, seules les molécules d’une chiralité particulière produisent l’effet désiré, alors que celles de chiralité opposée sont inutiles et polluantes. En séparant les molécules selon leur chiralité, il sera possible de créer des engrais et des pesticides plus efficaces, moins coûteux et moins polluants.Cette méthode peut être utilisée pour purifier des médicaments en ne gardant que les molécules thérapeutiques et en enlevant celles qui sont dangereuses

L’équipe du Professeur Naaman est composée des docteurs Koyel Banerjee-Ghosh, Francesco Tassinari et Eyal Capua du Département de Physique Biologique et Chimique ; l’équipe du Professeur Paltiel est composée des docteurs Oren Ben Dor, Shira Yochelis et Amir Capua. D’autres personnes ont également contribué à cette étude : le docteur See-Hun Yang et le professeur Stuart S. P. Parkin de la Division de Recherche IBM de San Jose (Californie) ; le docteur Soumyajit Sarkar et le professeur Leeor Kronik du Département des Interfaces et Matériaux de l’Institut Weizmann ; et le professeur Lech Tomasz Baczewski de l’Institut de Physique (Académie Polonaise des Sciences).

Les recherches du professeur Naaman sont financées par le Centre pour la Recherche sur les Capteurs et la Sécurité Nancy et Stephen Grand ; la Fondation Rothschild Caesarea ; le Fond d’Aide en Nanophysique Weston ; la Fondation John Templeton ; et le Conseil Européen pour la Recherche. Le professeur Naaman est détenteur de la chaire Aryeh et Mintzi Katzman.



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