La survie du plus petit nombre

Comment une poignée de microorganismes marins survit-elle à une hécatombe ?

Les microorganismes marins appelés phytoplancton subissent les changements de population les plus extrêmes de la planète – passant de grands blooms couvrant plusieurs kilomètres carrés à seulement quelques individus en seulement quelques semaines par un abaissement drastique de leur population. Durant ce processus, ils fournissent 50% de l’oxygène de la planète et constituent également une grande partie de la base de la chaîne alimentaire marine ; et la fine coquille minérale qu’ils produisent finit par se retrouver partout, des gouttes d’eau formant les nuages aux fonds des océans. Le professeur Assaf Vardi de l’Institut Weizmann des Sciences dit : « Les blooms de ces organismes unicellulaires photosynthétiques ont un impact majeur sur le cycle du carbone dans l’océan. » La durée de vie d’un bloom est limitée par de nombreux facteurs conspirant contre les algues – qui peuvent se trouver à court de nutriments, mourir d’une infection virale ou bactérienne ou encore être mangés.

« Ce schéma – une prolifération par division cellulaire puis une mort cellulaire rapide – est le résultat de nombreuses décisions individuelles prises par des trillions de cellules uniques, » ajoute le professeur Vardi du département des Sciences environnementales et botaniques de l’Institut. Qu’est-ce qui différencie les cellules qui survivent des autres ? Comment les cellules survivent-elles face aux multiples conditions de stress et parviennent à créer de nouveaux blooms ? Afin de répondre à ces questions, le professeur et son équipe ont commencé par développer de nouvelles techniques expérimentales, créant des équipements micro fluidiques qui leur permettent d’observer en continu des cellules vivantes au microscope pendant une période de 24 heures, et d’exposer ces cellules à un environnement strictement contrôlé dans lequel on peut appliquer différentes conditions de stress. « La plupart des recherches sur les microorganismes comme le phytoplancton considèrent le groupe dans son ensemble, moyennant les comportements et les niveaux de réponse. Mais de telles études passent à côté de subtiles et passionnantes stratégies individuelles, » dit le professeur Vardi.

Le professeur Assaf Vardi et Avia Mizrachi veulent savoir comment le même programme génétique peut mener à la vie ou à la mort des microorganismes unicellulaires

Dirigé par la doctorante Avia Mizrachi, le groupe a travaillé avec une diatomée, P. tricornutum, pour laquelle il existe une boîte à outils génétique connue permettant d’étudier son adaptation au stress. L’équipe s’est aussi concentrée sur des molécules connues comme les dérivés réactifs de l’oxygène (DRO) qui jouent un rôle dans la perception du stress environnemental et qui peuvent activer l’un des programmes portés par la cellule, décidant de sa mort ou de son adaptation. Des niveaux élevés de DRO (en opposition aux faibles niveaux requis pour un métabolisme normal) endommagent les cellules et entraînent leur apoptose. Mais est-ce que toutes les cellules de diatomées réagissent de la même façon à ce signal ?

Les chercheurs ont tout de suite remarqué que quand ils exposaient les diatomées à des niveaux modérés de DRO, les cellules des diatomées formaient deux groupes distincts : un grand nombre d’entre-elles étaient très sensibles au message des DRO et amorçaient leurs programmes de mort cellulaire d’urgence, tandis que d’autres semblaient résistantes – capable de répondre au signal en s’acclimatant. Cette séparation s’est également produite quand les expériences ont été conduites sur des cellules de diatomées identiques, clonées. En d’autres termes, même avec des cellules de diatomées génétiquement identiques qui démarrent avec les mêmes chances de survie, seules certaines d’entre-elles vont survivre à cette épreuve.

Pour plus de détails, les chercheurs ont supprimé les sites de production de DRO dans des diatomées : en effet, les organelles responsables de la photosynthèse, appelées chloroplastes, utilisent l’énergie du soleil et produisent comme sous-produit des DRO. Leur intuition était que les chloroplastes ne servaient pas uniquement de machine convertissant le dioxyde de carbone en sucre, mais participaient aussi aux mécanismes décisionnaires de la cellule. Le professeur Vardi et son équipe de recherche ont inséré ce qu’on appelle un rapporteur – une sorte d’étiquette qui brille et émet des couleurs fluorescentes en réponse au niveau de DRO – dans des chloroplastes et d’autres organelles cellulaires ; ils ont ensuite suivi les rapporteurs alors que les diatomées étaient exposées à des conditions de stress comme celles qui surviennent à la surface des océans, connues pour déclencher l’augmentation de la production de DRO.

Les étiquettes fluorescentes indiquent les différentes réponses au stress des diatomées

Sous une lumière intense – comme celle d’un jour ensoleillé à la surface de l’océan – un nombre important de cellules de diatomées accumulaient des DRO dans leurs chloroplastes et mouraient tandis que d’autres étaient en effet capables de survivre. Avia Mizrachi a cependant découvert que cette division en deux groupes – sensible et résistant – avait lieu uniquement avec des diatomées exposées à la lumière. Après avoir été conservées dans l’obscurité, toutes les cellules devenaient sensibles aux signaux des DRO ce qui provoquait la mort de toute la population. « Les diatomées ont besoin de la lumière du soleil pour survivre, mais si elles sont exposées à trop de lumière, cela peut s’avérer délétère. À l’opposé, sans lumière, les diatomées deviennent très sensibles aux autres conditions de stress. Ainsi, celles qui flottent à une profondeur légèrement plus importante – échangeant une croissance moins rapide, avec des conditions lumineuses moins favorables contre une faible production de DRO dans les chloroplastes – pourraient présenter une meilleure chance de survie, » dit Avia Mizrachi.

Les réaction cellulaires étaient visibles 15 minutes après la production des molécules de DRO, bien que les cellules soient encore vivantes 24 heures après. Avia Mizrachi a découvert qu’elle pouvait prédire d’une façon fiable – en se basant sur les réactions initiales des chloroplastes aux signaux des DRO – quelles cellules allaient mourir le jour suivant. En fait, une fois que les organelles ont réagi d’une certaine façon aux signaux des DRO, le plan suicidaire est activé et maintenu. En utilisant cette découverte, l’équipe cherche aujourd’hui à découvrir les gènes et autres molécules de signalisation qui travaillent pour obéir ou ignorer les signaux, assurant la mort ou la survie de la cellule. C’est ce qui transforme le signal général des DRO en un signal spécifique auquel les diatomées font face et répondent de façon individuelle, dit Avia Mizrachi. 

Avia Mizrachi a aussi développé une méthode pour séparer les deux groupes, un exploit qui permet déjà aux chercheurs d’enquêter de façon plus approfondie sur la dynamique de mort et de survie. « Nous continuons de chercher quels facteurs déterminent exactement la survie ou la mort cellulaire, et quel programmes génétiques modèrent ces décisions dans chaque cellule, » dit Avia Mizrachi. « L’exposition à la lumière semble être l’un de ces facteurs ; d’autres pourraient inclure le métabolisme de la cellule, son histoire, des signaux externes ou d’autres aspects de son environnement. »

Les signaux des DRO indiquent aux chercheurs 24 heures à l’avance quelles diatomées vont vivre et lesquelles vont mourir. L’imagerie micro-fluidique in vivo de l’oxydation chl-roGFP au fil du temps suivant le traitement à l’H2O2

« Les différentes interprétations des différents messages – les DRO n’en sont qu’un parmi d’autres – ont probablement évoluées comme une sorte d’assurance, » ajoute-t-elle. « Une façon de s’assurer que quoi qu’il arrive, au moins une petite portion de cellules va survivre afin de garder l’espèce en vie. »

« Ces microorganismes ont développé un cycle unique dans lequel la « survie d’un petit nombre » permet à l’espèce dans son ensemble de continuer à exister, » dit le professeur Vardi. « Dans mon laboratoire, nous cherchons à comprendre la façon dont les décisions prises à l’échelle d’une unique cellule affectent continuellement les processus qui ont lieu à l’échelle globale. C’est précisément la capacité d’observer ces cellules à une telle résolution – à l’échelle de ce qui se passe au sein de chaque organelle dans ces cellules – qui nous permet cela. »

Les recherches du professeur Assaf Vardi sont financées par l’Institut pour le Leadership de la Famille Willner pour l’Institut Weizmann des Sciences, la Fondation de la Famille David et Fela Shapell, le Fonds INCPM pour les études précliniques ; le Centre De Botton pour les Sciences Marines, la Fondation Edmond de Rothschild, la Fondation de la Famille Bernard et Norton Wolf, Claire et Marc Perlman, Scott Eric Jordan, la succession Emile Mimra et le Conseil Européen pour la Recherche.



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