Des Feux d’artifices en souvenir

Des scientifiques de l’Institut Weizmann des Sciences ont découvert un mécanisme neuronal central dans la mémorisation humaine

Des scientifiques extraterrestres atterrissant sur un terrain de football seraient frappés par la foule qui se lève subitement et hurle à l’unisson. D’une façon similaire, depuis les années 90, les chercheurs ont observé des modèles particuliers d’activité neuronale chez les rongeurs : des dizaines de milliers de cellules nerveuses faisant feu à l’unisson dans une partie du cerveau appelée l’hippocampe. Mais, comme les scientifiques extraterrestres, les chercheurs n’ont pas été en mesure de comprendre le « langage » de l’esprit des rongeurs quand ces mystérieuses explosions synchronisées se produisent. Récemment, des scientifiques de l’Institut Weizmann ont réussi à enregistrer ces rapides explosions d’activité – appelées « ondulations de l’hippocampe » – dans le cerveau humain et ont réussi à démontrer leur importance comme mécanisme neuronal sous-jacent à la mémorisation de nouveaux souvenirs et leur future restitution.

Ces découvertes sont publiées aujourd’hui dans Science.« Les ondulations sont des évènements qui étonnent par leur intensité et leur timing. C’est une explosion orchestrée d’activations synchronisées d’environ 15% des neurones de l’hippocampe – faisant feu tous ensemble pendant environ un dixième de seconde. C’est un feu d’artifice de cellules nerveuses, » explique le professeur Rafi Malach du Département de Neurobiologie de l’Institut. Pour la première fois, des scientifiques ont révélé que ce mécanisme se produit pendant les stades mentaux de sommeil et de repos, et qu’il joue un rôle important dans la mémoire de navigation spatiale des rongeurs. On a récemment découvert qu’une telle activité électrique synchronisée dans de grands groupes de neurones se produit aussi dans l’hippocampe des primates pendant leur état de veille.

Les humains peuvent bien sûr communiquer leurs pensées, mais la plupart des méthodes de recherche ne fournissent pas aux scientifiques une vue détaillée de ce qui se passe en temps réel dans le cerveau. Yitzhak Norman, un doctorant du laboratoire du professeur Malach, qui a dirigé cette étude en collaboration avec l’équipe du professeur Ashesh Mehta de l’Institut Feinstein pour la Recherche Médicale (USA), a recruté des patients qui ont été soumis à des enregistrements invasifs au cours de leur diagnostic médical.

Durant cette procédure clinique, des électrodes ont été implantées dans différentes régions du cerveau de patients souffrant d’épilepsie incurable afin de localiser le foyer épileptique et le retirer chirurgicalement. Ces patients étaient volontaires pour participer aux expérimentations sur la mémoire pendant qu’ils patientaient à l’hôpital entre les crises.Au cours de l’expérimentation, les patients observaient des photos colorées et très détaillées du visage de personnes célèbres (Barack Obama, Uma Thurman,…) ou de monuments célèbres (la statue de la liberté, la tour de Pise,…).

Les chercheurs demandaient aux patients de se souvenir de ces photos avec un maximum de détails. Après cette phase d’observation de l’image, suivie d’une courte tâche de diversion, les scientifiques demandaient aux patients, les yeux bandés, de se souvenir librement des photos et de les décrire en détails. Au cours de l’expérience, la voix des patients était enregistrée en même temps que leur activité cérébrale mesurée grâce aux électrodes implantées dans leur hippocampe et dans d’autres régions de leur cerveau comme le cortex cérébral.

Image IRM des électrodes (points jaunes) implantées dans l’hippocampe d’un patient soumis à une surveillance d’épilepsie. Les couleurs indiquent les sous-régions de l’hippocampe. De nettes ondulations apparaissent surtout dans la région CA1, en rouge

En corrélant l’activité cérébrale et la description verbale des patients, un grand nombre d’observations ont alors été faites.

Les explosions d’ondulations ont un rôle critique dans le processus de mémorisation libre : environ une ou deux secondes avant que les patients commencent à se souvenir et à décrire une nouvelle image, une augmentation significative des ondulations anticipe ce souvenir.
Les ondulations de l’hippocampe reproduisent de façon significative le contenu des images : les images ayant obtenu le nombre le plus élevé d’ondulations pendant la phase de visionnage ont également obtenu un nombre plus élevé d’ondulations pendant la restitution des souvenirs ultérieure.

Puisque l’activité cérébrale était enregistrée à la fois dans l’hippocampe et dans le cortex cérébral, les chercheurs ont pu démontrer que les ondulations étaient synchronisées avec l’activation corticale, en particulier avec les centres visuels du cerveau où l’information visuelle détaillée est vraisemblablement stockée. De plus, on sait que les centres visuels de haut niveau sont spécialisés dans la représentation de catégories visuelles spécifiques – par exemple, les visages sont représentés dans une région corticale et les monuments dans une autre. Ainsi, quand les patients se souvenaient d’un visage, par exemple celui de Barak Obama, ou d’un monument, comme la tour Eiffel, l’activité corticale augmentait sélectivement dans le centre visuel correspondant. Le professeur Norman explique : « On observe une action orchestrée d’un certain nombre de centres pendant la restitution libre de souvenirs, l’hippocampe jouant le rôle de chef d’orchestre. »

Ces découvertes augmentent significativement notre compréhension du fonctionnement de l’hippocampe. Elles montrent l’importance de l’activité synchronisée de groupes neuronaux. L’explosion dans l’hippocampe implique l’activation synchronisée de centaines de milliers de cellules nerveuses. « C’est une avancée majeure dans notre compréhension des mécanismes neuronaux sous-jacents à la mémorisation humaine, » résume le professeur Malach. « Graver des souvenirs, les stocker et s’en souvenir sont des actions naturellement dépendantes d’un assemblage de processus complexes. Cependant, la scène neuronale de ces explosions synchronisées dans l’hippocampe met clairement en évidence leur rôle central dans la formation des souvenirs et leur restitution. »

Les recherches du professeur Rafael Malach sont financées par le Laboratoire de Recherche en Neurobiologie du docteur Lou Siminovitch ; et la succession Florence et Charles Cuevas. Le professeur Malach est détenteur de la chaire professorale de recherche sur le cerveau Barbara et Morris L. Levinson.



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