Ça sent le Soufre dans l’Océan !

Comment les bactéries chalcophiles contribuent à la mort rapide des efflorescences algales ?

Quand une efflorescence algale géante ( en anglais bloom, terme utilisé pour la suite de cet article ) composée de trillions d’organismes unicellulaires individuels meurt, sa disparition est rapide et totale. Une équipe de l’Institut Weizmann des Sciences a découvert que des virus et des bactéries conspirent pour tuer les algues. Comme ils l’ont récemment indiqué dans un article publié dans Science Advances, leur étude montre l’intrigante possibilité qu’une substance produite par les algues elles-mêmes joue un rôle crucial dans le processus d’infection.

De tels blooms sont si grands qu’ils sont visibles de l’espace ; ainsi leurs cycles rapides de vie et de mort ont un impact énorme sur tout ce qui les entoure, de la chaîne alimentaire marine à l’oxygène que nous respirons. Le professeur Assaf Vardi du Département Botanique et Sciences Environnementales de l’Institut Weizmann et son équipe ont enquêté sur le mécanisme par lequel un virus infecte et tue les espèces de phytoplancton qui créent ces blooms algaux. Normalement, ce virus aurait dû évoluer au cours du temps de sorte à créer une relation moins létale avec son hôte, ou l’hôte aurait dû devenir résistant après quelques cycles. Comme ce n’est pas le cas pour la mort des blooms algaux, il y a certainement plus que l’histoire de ce simple virus. 

Le professeur Vardi et une doctorante de son équipe, Noa Barak-Gavish, ont cherché les autres virus qui pourraient attaquer les phytoplanctons et ils ont eu l’idée de regarder dans les « intestins » de l’étage supérieur de la chaîne alimentaire – les zooplanctons qui se nourrissent exclusivement de phytoplanctons. En isolant le contenu digestif des zooplanctons, Noa Barak-Gavish et Miguel Farga, un ancien postdoctorant de l’équipe du professeur Vardi, ont découvert qu’en plus des virus, une souche de bactérie semblait être présente. Ces bactéries étaient ingérées avec le phytoplancton, et des expériences en laboratoire ont montré qu’elles pouvaient tuer ces microorganismes alors qu’ils flottaient encore dans l’océan.

Noa Barak-Gavish et le professeur Assaf Vardi ont découvert que les bactéries empêchent les algues de devenir résistantes à l’infection virale

Quel est le rôle joué par ces bactéries dans la mort d’un bloom algal ? Quand Noa Barak-Gavish a cultivé phytoplancton et bactéries ensemble en laboratoire, elle a remarqué qu’ils commençaient par se développer rapidement tous les deux. Cependant, à partir d’un certain stade, leurs développements respectifs stagnaient. Puis, la croissance bactérienne décollait tandis que les phytoplanctons mouraient. L’équipe de recherche a aussi remarqué quelque chose d’autre : les phytoplanctons qui résistaient à l’infection virale succombaient plus facilement à l’infection bactérienne, et inversement. « Il y avait comme une sorte de compromis. Des souches légèrement différentes –au sein du même bloom – répondaient de façons opposées aux mêmes menaces. Une double attaque – virale et bactérienne – peut finir de détruire le bloom et empêcher le suivant de développer une quelconque immunité, » dit le professeur Vardi.

La bactérie fait partie d’une famille appelée Sulfitobacter – ce sont des bactéries spécialisées dans le métabolisme du soufre. Il se trouve que les phytoplanctons produisent un composé contenant du soufre connu par ses initiales, DMSP (Diméthylsulfonioproponiate). Le professeur Vardi, en collaboration avec le professeur Dan Tawfik de l’Institut Weizmann des Sciences et leur étudiant Uria Alcolombri, avaient précédemment isolé et identifié l’enzyme qui utilise le DMSP pour produire un composé volatile, le DMS (diméthylsulfide ou sulfure de diméthyle) . DMSP et DMS assurent de nombreuses fonctions dans les cellules des algues ; elles ont notamment un rôle de messager chimique qui fait passer des informations entre les différentes cellules. Le DMS est très répandu, c’est lui qui est à l’origine de cette « odeur d’océan », et il peut former de nouveau composés dans l’atmosphère qui entrent ensuite dans la composition des nuages.

Le DMSP est en fait la clef de la relation entre les bactéries et le phytoplancton. La souche d’algues qui produit le plus de DMSP est aussi la plus susceptible de succomber à une infection bactérienne. En fait, quand les scientifiques ont ajouté ce composé sulfuré aux cultures de phytoplanctons résistants, ceux-ci ont perdu une grande partie de leur résistance. Les bactéries mangeaient le DMSP et relâchaient un nouveau composé – celui avec une forte odeur de fromage. « Dès que j’ai senti cette odeur âcre, j’ai su que nos cultures seraient mortes dans un jour ou deux, » dit Noa Barak-Gavish.

Dans ces cultures, les attaques bactériennes ne commençaient pas immédiatement ; il fallait environ une semaine pour que la bactérie symbiotique originelle devienne pathogène. Et cela corrobore une autre observation : les virus tendaient à attaquer les jeunes cellules de phytoplancton tandis que les bactéries affectaient les cellules plus âgées. Les bactéries se déplaçaient-elles simplement pour se nourrir des cellules qui n’avaient pas été tuées par les virus ou un mécanisme plus compliqué était-il à l’œuvre ? Bien que les scientifiques n’aient pas encore entièrement compris le mécanisme qui rendait ces bactéries pathogènes, le professeur Vardi et Noa Barak-Gavish pensent que le DMSP peut s’accumuler avec le temps et les bactéries peuvent ainsi atteindre plus facilement les organismes en suivant cette odeur caractéristique ; les morceaux de plancton qui avaient éclaté à cause des virus pouvaient aussi les attirer. Les bactéries peuvent ensuite commencer à produire des toxines qui tuent le phytoplancton à partir du DMSP. Autre hypothèse, elles peuvent répondre aux signaux émis par d’autres bactéries – de la même espèce ou d’espèces concurrentes – ou à d’autres signaux indiquant que les phytoplanctons sont proches de leur mort naturelle.

Dans cette image (un zoom, à droite), on peut voir le processus d’infection, d’une cellule d’algue saine (en haut à gauche), vers une cellule à laquelle est attachée une bactérie (à droite), jusqu’à une cellule endommagée et une cellule morte (en bas à gauche).

 

Parmi d’autres travaux, l’équipe continue de chercher des indices dans des échantillons d’algues provenant des côtes de Norvège de l’été passé – des centaines d’échantillons gelés représentant une chronologie de la croissance et de la disparition contrôlées de petits blooms. Cela va aider les scientifiques à déterminer si le phénomène qu’ils ont observé en laboratoire se produit de la même façon dans la nature. 

« La mort de ces blooms est la soupape métabolique de la chaîne alimentaire océanique et elle joue un rôle très important dans les cycles planétaires du soufre, du carbone et de l’oxygène, » dit le professeur Vardi. « Ces phénomènes globaux sont régulés en grande partie par le compromis que ces petits microorganismes font avec les bactéries et les virus, ainsi que par les interactions avec les composés chimiques produits par le phytoplancton. Ce compromis peut empêcher le phytoplancton de développer une résistance aux organismes pathogènes et ainsi mener aux cycles extrêmes de croissance et de mort des algues que nous observons dans les océans. »

Les docteurs Chuan Ku et Sergey Malitsky et le professeur Asaph Aharoni du Département Botanique et Sciences environnementales et le docteur Stefan J. Green de l’Université d’Illinois à Chicago ont également participé à cette étude.

Les recherches du professeur Assaf Vardi sont financées par la Fondation de la Famille David et Fela Shapell, le Fond INCPM pour les Études Précliniques, le Centre pour la Recherche Marine De Botton, les Fondations Edmond de Rothschild, la Fondation de la Famille Norton Wolf, Scott Jordan et Gina Valdez, la succession d’Emile Mimran et le Conseil Européen pour la Recherche.



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