La prostate soignée par photothérapie

Article extrait du journal Le Monde, publié sur notre site avec l’aimable autorisation de l’auteur Florence Rosier.

Un nouveau traitement des cancers de la prostate peu évolués réduit le recours à l’ablation totale de la glande, mais reste encore peu prodigué en France.

Comment une innovation thérapeutique peut-elle trouver sa place ? Telle est la question que pose la photothérapie dynamique, réservée aux cancers de la prostate peu évolués. Approuvée fin 2017 par l’Agence européenne du médicament, son utilisation reste en suspens, en France et dans de nombreux pays d’Europe, dans l’attente de son remboursement par les systèmes de santé nationaux.

Quel en est le principe ? Couché sur le dos, les jambes en l’air, le patient est sous anesthésie générale. Les contours de la tumeur sont repérés par IRM puis redéfinis, en temps réel, par échographie. Le chirurgien-urologue positionne, à travers le périnée, 7 à 17 fines aiguilles creuses qui ciblent, dans la prostate, la zone tumorale. Dans chaque aiguille, une fibre optique est insérée.

Illumination laser

Après avoir plongé le bloc dans l’obscurité, recouvert le patient d’une couverture de survie et de lunettes teintées, le praticien injecte un produit photo-sensibilisant, le Tookad Soluble, dans les veines du patient. Puis vient la phase cruciale de l’intervention : l’illumination laser. Le chirurgien active les fibres laser dans une longueur d’onde proche de l’infrarouge, ce qui active le Tookad Soluble dans les vaisseaux sanguins irriguant la tumeur. Il s’ensuit une libération de radicaux libres, toxiques, qui provoquent la dilatation puis la contraction et enfin l’occlusion des vaisseaux. Asphyxiées, les cellules tumorales se nécrosent.

L’intervention dure une heure. Après quelques heures sous observation, le patient peut rentrer chez lui le soir même. Principal avantage : une réduction des risques de séquelles – troubles de l’érection ou incontinence urinaire. « Près de 80 % des patients souffrent de troubles de l’érection après une ablation totale de la prostate ; ils ne sont que 15 % après cette photothérapie active », précise le professeur Abdel-Rahmène Azzouzi, du CHU d’Angers. Ce chirurgien-urologue a acquis, depuis 2008, la plus vaste expérience au monde de ce traitement. Au total, 500 à 600 patients ont été ainsi traités pour un cancer de la prostate – dont la moitié en France.

C’est en Israël, à l’Institut Weizmann des sciences, en 1996, qu’a germé l’idée de cette aventure. Elle est née d’une improbable discussion entre un spécialiste de la photosynthèse bactérienne, le professeur Avigdor Scherz, et un physiologiste qui s’intéressait au traitement laser des cancers, le docteur Yoram Salomon.

En écoutant le descriptif d’une molécule photosensible qui permettrait ce traitement, Avigdor Scherz se dit que les chlorophylles de ses bactéries pourraient faire l’affaire. « Pourquoi ne pas utiliser ces dispositifs, fruits de plus de deux milliards d’années d’évolution, pour détruire les tissus tumoraux ? » Mais « il fallait les modifier pour les rendre solubles dans le sang, très stables à l’obscurité et capables de produire des radicaux libres destructeurs », explique Michel Goldberg, président honoraire du Conseil scientifique de Pasteur-Weizmann. Débute alors un patient travail d’orfèvrerie moléculaire : l’étude livrera le Tookad, qui montrera en 2002 des résultats favorables chez l’animal. L’Institut Weizmann déposera des brevets ; le procédé sera développé par la société Steba Biotech.

En 2011, débute en Europe un essai clinique impliquant 47 centres, incluant 413 patients atteints de cancer de la prostate peu avancé. Ils sont tirés au sort : 206 sont traités par photothérapie active ; 207 sont placés sous « surveillance active » – leur tumeur est régulièrement surveillée par imagerie et par mesure du niveau d’un marqueur sanguin, le PSA.

Verdict, publié en février 2017 dans la revue The Lancet Oncology : après deux ans de suivi, 28 % des patients sous photothérapie ont vu leur cancer évoluer, contre 58 % de ceux sous surveillance active. Bien toléré, « ce traitement pourrait permettre aux hommes avec un cancer localisé de faible risque d’envisager une approche préservant leur prostate et de différer, voire d’éviter un traitement d’ablation radicale », concluaient les auteurs.

Recul nécessaire

Publiés en juin dans le Journal of Urology, les résultats du suivi à quatre ans de ces patients confirment une progression ralentie du cancer. Après quatre ans, 24 % des patients du groupe « photothérapie » ont dû subir une ablation totale de la prostate, contre 53 % dans le groupe « surveillance active ». « L’avantage principal de la photothérapie Tookad est sa précision », notait l’Association française d’urologie (AFU) en 2017. « Il n’existe qu’une seule étude randomisée sur ce traitement. Avant de pouvoir le recommander, il faut attendre d’avoir plus de recul », tempère le professeur Thierry Lebret, président de l’AFU.

Le débat est plus large. Quand un cancer de la prostate peu avancé est détecté, quelle meilleure stratégie proposer : l’ablation totale de la glande, l’ablation de la seule tumeur principale ou bien une surveillance active ? « C’est l’éternel dilemme entre qualité et quantité de vie », souligne le professeur Azzouzi.

En France, environ 50 000 nouveaux cas de cancer de la prostate sont détectés chaque année, et 20 000 ablations totales de la prostate sont pratiquées. « La moitié de ces ablations sont excessives », juge le professeur Azzouzi. « Les résultats en termes de survie sont meilleurs quand on enlève toute la prostate », répond le professeur Lebret. « Pour les cancers les plus agressifs, l’ablation radicale reste indispensable. Mais le recours fréquent à cette stratégie est un combat d’arrière-garde », estime le professeur Azzouzi. Apre débat.

Depuis la fin de l’essai clinique, en 2014, cette thérapie est en stand-by. Mais elle est actuellement évaluée dans des cancers de la prostate plus évolués, ainsi que dans des cancers du sein « triple négatifs » (les plus compliqués à soigner), de l’œsophage, du pancréas ou des voies urinaires.

Dernier volet, plus inattendu, de cette aventure humaine : c’est la « fraternité » de la collaboration entre Abdel-Rahmène Azzouzi, musulman, et les équipes juives israéliennes. « Si ce type d’échanges pouvait se multiplier, et les dogmatismes cesser… », soupire-t-il.

 

Source : Article extrait du journal Le Monde, publié sur notre site avec l’aimable autorisation de l’auteur Florence Rosier.



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