Les Défauts qui Chauffent

Des mesures ultra-précises de l’énergie libérée par les électrons dans le graphène révèlent un nouveau mécanisme de réchauffement à l’échelle atomique.

Sur l’image thermique ci-dessus, chaque anneau correspond à un processus unique qui a été identifié dans le laboratoire de recherche du Professeur Eli Zeldov.

Le graphène – une forme de carbone qui a récemment permis à ses découvreurs d’obtenir un Prix Nobel – pourrait un jour être à l’origine d’appareils électroniques efficaces et respectueux de l’environnement. Contrairement à d’autres matériaux composés de carbone – par exemple le diamant ou le graphite – le graphène conduit l’électricité d’une manière efficace ; et comme avec de nombreux matériaux conducteurs, la chaleur est un sous-produit qui doit être pris en compte dans toute conception. Une étude récemment parue dans Science décrit comment une méthode très précise de « prise de température » des matériaux conducteurs révèle un nouveau mécanisme par lequel les électrons dans le graphène libèrent de la chaleur. Comprendre ce mécanisme pourrait aider les ingénieurs à améliorer la conception de matériaux et d’appareils basés sur le graphène et fournir un aperçu précis d’un processus microscopique innovant jusqu’ici inexploré.

« Le graphène est un réseau bidimensionnel d’atomes de carbone qui ressemble à des alvéoles, » explique le Docteur Dorri Halbertal, actuellement postdoctorant dans le laboratoire du Professeur Eli Zeldov du Département de la Physique de la Matière Condensée de l’Institut Weizmann. « Rien ‘n’attire l’attention’ d’un électron qui traverse du graphène – rien qui le pousse à libérer son surplus d’énergie ». Pourtant, de la chaleur est à l’évidence produite et, pour de tout petits appareils, une quantité de chaleur même infime peut poser un sérieux problème. Comment cette chaleur est-elle produite dans un matériau aussi « idéal » que le graphène ?

(de gauche à droite) Le Professeur Eli Zeldov et le Docteur Dorri Halbertal pensent que leurs découvertes pourraient aider à faire avancer la technologie des matériaux à base de graphène.

 

Un SQUID sensible

Pour répondre à cette question à l’échelle atomique, le Docteur Halbertal et le Professeur Zeldov ont fait équipe avec le Docteur Moshe Ben Shalom et le Professeur Andre Geim – l’un des découvreurs du graphène – de l’Université de Manchester, qui a ont fourni des échantillons de graphène ultra pur en sandwich entre deux couches fines d’un matériau inerte. Le Professeur Zeldov et son groupe ont utilisé un système de mesure unique développé dans leur laboratoire qu’ils ont appelé SQUID (pour « Superconducting Quantum Interference Device », en français : Dispositif d’Interférence Quantique à Supraconducteur) situé sur l’embout d’un thermomètre. Enfermé dans une boîte de la taille d’un congélateur industriel contenant environ deux tonnes de béton, soutenue par un système de levage hydraulique et entourée par un conteneur d’hélium refroidi à environ 4 degrés Kelvin – afin isoler le dispositif de la plus petite perturbation extérieure – la principale partie du dispositif SQUID est une fine aiguille de quartz recouverte de plomb – un métal qui se transforme en supraconducteur quand il est refroidi. L’anneau au bout de cette aiguille, de seulement quelques dizaines de nanomètres de diamètre, est la clef de l’efficacité de ce dispositif. Il mesure les propriétés d’un matériau en le sondant – se plaçant au plus près de la surface sans la toucher.

Ce dispositif fournit un système de mesure amélioré d’un facteur dix mille comparé aux autres méthodes couramment utilisées.

 

À l’origine, le dispositif SQUID a été conçu pour mesurer les petites perturbations dans le champ magnétique des matériaux, mais le Professeur Zeldov et le Docteur Halbertal ont réalisé qu’il était hautement sensible au moindre changements de température, et ils ont tourné cette sensibilité à leur avantage. Dans une précédente étude, l’équipe a démontré les capacités du dispositif en mesurant des changements de température à l’échelle du microkelvin (l’échelle du Kelvin démarre au zéro absolu – le plus froid possible). Ce dispositif fournit un système de mesure amélioré d’un facteur dix mille comparé aux autres méthodes de pointe. Ce procédé de mesure unique permet aussi aux chercheurs d’activer et de désactiver la dissipation de chaleur sur des sites spécifiques – c’est-à-dire que les chercheurs ne font pas que mesurer le réchauffement à l’échelle atomique mais en contrôlent aussi certains aspects.

Les mesures sur le processus de dissipation de chaleur représentées ici montrent  l’énergie (axe vertical) en fonction de l’espace (axe horizontal). Elles donnent un aperçu significatif de la dissipation de l’énergie dans le graphène.

 

Un nouveau mécanisme de réchauffement

Avec cette expérience, les chercheurs ont découvert que les électrons ne libéraient de la chaleur qu’à certains endroits au cœur de l’échantillon mais aussi au niveau de quelques points précis sur ses bords. Cela a permis à l’équipe de définir la localisation exacte de l’endroit où la chaleur est générée. « Ces sites sont des défauts atomiques, probablement des atomes d’hydrogène qui se sont fixés sur le réseau de carbone, » dit le Docteur Halbertal. « Les défauts sont comme des pièges : ils peuvent retenir les électrons pendant un temps avant que ceux-ci ne s’échappent, en libérant une petite quantité d’énergie sous forme de chaleur ». Sur les images obtenues lors des expériences, la localisation de ces défauts atomiques apparaît entourée d’anneaux. Une analyse de ces anneaux – petits points « chauds » d’énergie libérée – conduite avec le Professeur Leonid Levitov du Massachusetts Institute of Technology, a révélé un nouveau mécanisme de libération de la chaleur qui n’avait jamais été envisagé auparavant.

Ce mécanisme implique un état d’énergie très spécifique requis par les électrons pour libérer de la chaleur. Les connaissances fournies par cette étude pourraient être utiles aux physiciens, aux scientifiques spécialistes des matériaux et aux ingénieurs qui travaillent avec du graphène. Mais d’après le Docteur Halbertal, puisque sa résolution est plus fine que toutes les autres, cette méthode de mesure pourrait par la suite nous apporter bien plus d’informations sur la physique fondamentale de libération de la chaleur. « De nombreux processus parmi les disciplines scientifiques, de la biologie aux supernovae, impliquent des échanges et des conversions d’énergie, » dit le Professeur Zeldov. « Avec cette méthode, nous pouvons comprendre comment la dissipation de l’énergie a lieu au niveau d’un seul électron. »

Illustration du processus de dissipation d’énergie : un électron énergétique (rouge) s’échappe d’un « piège » très localisé qui s’est formé au niveau d’un défaut atomique dans la structure du graphène. De ce fait, il perd de l’énergie (bleu) et produit une légère vibration mesurable à travers la structure (orange)

 

Les recherches du Professeur Eli Zeldov sont financées par le Family Leadership Institute Willner pour l’Institut Weizmann des Sciences ; l’Institution Caritative Leona M. et Harry B. Helmsley ; le Centre Gruber pour l’Électronique Quantique qu’il dirige ; le Centre pour la Recherche Submicronique Joseph H. et Belle R. Braun qu’il dirige ; le Conseil européen de la recherche ; et la Bourse de Recherche Rosa et Emilio Segre. Le Professeur Zeldov est titulaire de la Chaire Professorale David et Inez Myers.



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