Comment sont synchronisées les cellules sensorielles du cerveau ?

Un débat d’une décennie sur la façon dont les signaux créent la perception est résolu

Le profil d’activité généré dans un couple de cellules corticales du cerveau pendant le traitement d’une stimulation sensorielle est synchronisé, même quand la réponse à des stimuli identiques répétés varie.

La même différence

Pour donner un sens aux stimulations sensorielles comme les ondes lumineuses, les ondes sonores ou les stimuli tactiles, nos organes sensoriels transforment les signaux en impulsions électriques. Ces impulsions voyagent le long de voies neuronales d’une région du cerveau à une autre où elles sont traitées et interprétées comme la sensation que nous percevons finalement – voir une chaise, entendre une chanson, sentir un objet.

On s’attend alors à ce que le modèle de l’activité générée dans les cellules cérébrales se répète quand ces cellules répondent une deuxième, voir une troisième ou une cinquantième fois, aux mêmes stimuli. Par exemple, une réponse courte serait générée à chaque fois que vous regardez une chaise en particulier. Mais ce n’est pas le cas – la réponse tend à varier à chaque essai. Donc, la prochaine fois que vous verrez la même chaise, une réponse longue pourrait être produite dans les cellules cérébrales. Bien que différentes combinaisons de cellules cérébrales participent à chaque fois à la création d’une réponse, les cellules qui répondent sont étonnamment synchronisées – elles répondent au stimulus sensoriel de la même façon. La variabilité de la réponse des cellules individuelles ne peut donc pas être considérée comme une simple moyenne des réponses de multiples cellules. Alors, qu’est-ce qui génère exactement une telle « variabilité synchronisée » ?

Dans quel camp êtes-vous ?

Cette question est matière à débat depuis des décennies, avec des scientifiques divisés en deux camps principaux. Un camp croit que variabilité et synchronisation viennent des signaux émis par une partie du cerveau appelée thalamus, qui est responsable de la redirection de la plupart des stimulations sensorielles détectées par le corps vers les cellules du cortex cérébral, la partie du cerveau qui traite et interprète les informations sensorielles.

Le second groupe pense que la variation des réponses observées et la synchronisation sont produites quand les signaux sont relayés par un réseau de cellules cérébrales de la région du cortex après leur arrivée du thalamus. Le Professeur Ilan Lampl du Département de Neurobiologie de l’Institut Weizmann et son équipe, dont le Docteur Katayun Cohen Kasho Malina en postdoctorat et l’ancien étudiant en doctorat Boaz Mohar et le thésard Akiva N. Rappaport, ont finalement fait la lumière – littéralement – sur le sujet, les plaçant dans le « camp cortex ».

(de gauche à droite) Akiva N. Rappaport, le Docteur Katayun Cohen-Kashi Malina et le Professeur Ilan Lampl. Le Professeur Lampl et son équipe apportent la preuve que cette synchronisation trouve son origine dans le cortex – la région du cerveau associée aux plus hautes fonctions cérébrales impliquées dans le traitement et l’interprétation des informations sensorielles – plutôt que dans le thalamus – la région du cerveau responsable à un niveau moindre de la redirection des signaux sensoriels vers le cortex.

Mettre fin au débat

Les cellules cérébrales du cortex reçoivent et envoient les signaux à de nombreuses autres cellules via des jonctions appelées synapses. Les scientifiques ont conçu une expérience unique dans laquelle ils ont placé des électrodes dans les cellules corticales de souris et ont enregistré le courant électrique produit directement par les entrées synaptiques. Ils ont mis en place cette expérience de façon à enregistrer l’activité de paires de cellules semblables –par opposition aux cellules individuelles – et ont donc pu tester et dévoiler l’origine de la synchronisation.

Pour déterminer si la variabilité et la synchronisation trouvent, ou non, leur origine dans les signaux provenant du thalamus, les scientifiques ont utilisé une technique appelée optogénétique, qui leur a permis « d’allumer » ou « d’éteindre » l’activité cellulaire dans le cortex de souris transgéniques en utilisant de la lumière : quand ils illuminent le cortex, les cellules corticales sont complètement inhibées et ne peuvent pas transmettre l’information sensorielles aux autres cellules.  Tout courant électrique détecté avec les électrodes dans les cellules corticales quand celles-ci sont inhibées provient alors forcément du thalamus, puisque son activité n’est pas affectée par la lumière.

Le Professeur Lampl explique : « Nous avons pu interpréter les enregistrements du thalamus selon deux scénarios possibles : si deux cellules dans le cortex sont activées en même temps par la réception de signaux provenant du thalamus, cela signifie que la variabilité et la synchronisation viennent du thalamus. Si par contre les cellules sont activées indépendamment l’une de l’autre, nous pouvons donc déduire que variabilité et synchronisation proviennent des signaux relayés par les cellules du cortex. » Deux séries d’enregistrements ont été faites : l’une sans stimulation sensorielle et l’autre avec stimulation des moustaches des animaux.

Les découvertes de l’équipe, publiées dans Nature Communications, montrent que quand l’activité des cellules cérébrales dans le cortex est inhibée, permettant la propagation des signaux venant uniquement du thalamus, la réponse des cellules corticales est moins variable et synchronisée à chaque essai dans les deux cas (avec et sans stimulation sensorielle). Cela prouve que ce sont bien les signaux qui sont relayés par les cellules du cortex qui sont responsables de la variabilité et de la synchronisation observées et non les signaux venant du thalamus.

La synchronisation cellulaire : une « bonne » ou une « mauvaise » chose ?

Le Professeur Lampl déclare : « Pour le moment, la génération de la variabilité et de la synchronisation cellulaires est une observation – une caractéristique physiologique. Nous ne savons pas si c’est une « bonne » ou une « mauvaise » chose que plusieurs cellules agissent ensemble. » Comprendre les origines et les fonctions de la variabilité et de la synchronisation cellulaires pourrait donner des renseignements utiles sur le traitement des informations dans le cortex et sur la perception, pas seulement pour le système tactile qui était étudié ici, mais aussi pour les systèmes visuels et auditifs, qui ont donné des résultats similaires.

Les recherches du Professeur Ilan Lampl sont financées par l’Institut d’Imagerie Biomédicale et de Génomique Henry Chanoch Krenter ; le Laboratoire pour la Recherche en Neurobiologie Marianne Manoville Beck, en l’honneur de ses parents ; et la Fondation Adelis.



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