La base génétique du comportement social et de l’anxiété

Des poissons avec deux gènes codant une même protéine cruciale aident les chercheurs à comprendre son rôle dans les troubles du développement neurologique.

Les petits poissons d’aquarium qui ne parviennent pas à nager vers les bancs de poissons qui se trouvent à côté de leur aquarium nous donnent des informations précieuses sur le comportement humain… Le laboratoire du Professeur Gil Levkowitz du département de Biologie Moléculaire et Cellulaire de l’Institut Weizmann des Sciences a effectué de nouvelles recherches portant sur les effets d’une certaine protéine sur les cellules nerveuses individuelles du cerveau d’un poisson zèbre transparent – effets qui se traduisent en schémas de comportements sociaux ; cette étude a conduit à l’identification de nouveaux neurones qui agissent  comme des commutateurs entre deux hormones, possible cause du maintien de l’équilibre entre stress et sociabilité.

Le développement de certains neurones dans une partie du cerveau appelée l’hypothalamus est dirigé par une protéine appelée « facteur de transcription orthopédie », ou Otp. L’Otp est incontestablement crucial, puisque les mammifères dépourvus du gène qui permet sa production sont morts-nés. Cependant, le Professeur Levkowitz et son groupe étaient sur la piste d’effets insaisissables liés à cette protéine – ceux qui contrôlent le comportement social et l’anxiété. Ces effets peuvent sembler insignifiants, pourtant des dysfonctionnements de ces systèmes jouent un rôle dans les troubles du développement neurologique tels que l’autisme. Il s’est, fortuitement avéré que le petit poisson zèbre transparent a deux gènes Otp distincts qui produisent des protéines quasi identiques – Otpa et Otpb. Les poissons portant une mutation sur un seul de ces gènes Otp peuvent alors être utilisés pour étudier ses effets physiologiques chez les animaux à l’âge adulte.

Un poisson normal ira nager plus loin pour découvrir ce qu’on appelle une « zone sociale ».

Les recherches ont été menées par Einav Wircer, doctorante à l’Institut Weizmann,  ainsi que  le Dr Janna Blechman et le Dr Nataliya Borodovsky du groupe du laboratoire du Professeur Levkowitz ; le Dr Michael Tsoory, des ressources vétérinaires de l’Institut Weizmann ; le Professeur Rui Oliviera de l’Institut Gulbenkian des Sciences et de l’ISPA ( Institut supérieur de psychologie appliquée) à Lisbonne, et le Dr Ana Rita Nunes, qui continue de collaborer avec le laboratoire du Professeur Levkowitz depuis le Portugal.

Le groupe a observé que l’absence des deux copies du gène Otp du poisson zèbre était létale, comme chez la souris. Mais lorsqu’il n’en existe qu’une seule, les poissons, normalement sociables, affichent un comportement asocial et une réponse également anormale à l’anxiété. Par exemple, un poisson normal ira nager plus loin pour explorer ce qu’on appelle une « zone sociale » : un compartiment visible dans lequel un banc de poissons zèbre nage vers le même côté de leur aquarium. Les poissons mutants qui n’ont pas la protéine Otpa affichent une tendance nettement moindre à nager dans la zone sociale. D’autre part, placés dans un nouvel environnement, les poissons avec des Otps intacts nagent lentement, autour du centre, puis gravitent vers les côtés, perdant progressivement leur crainte initiale liée à cet environnement inconnu, potentiellement dangereux, puis ils s’acclimatent. Les poissons mutants, placés dans un nouvel aquarium, ne présentent pas ce comportement normal « d’anxiété ».

Commutateurs hormonaux

Les chercheurs ont alors démontré que l’Otp dirige le développement des neurones qui produisent l’hormone ocytocine, connue pour influencer l’appartenance sociale, la confiance, et le comportement sexuel. Le Professeur Levkowitz explique que : « L’ocytocine est souvent appelée l’hormone de l’amour en raison de ses effets sociaux, mais c’est une appellation inappropriée. Elle a plusieurs fonctions dans le corps, y compris la réduction du stress et le contrôle de l’appétit et du métabolisme ».

Les scientifiques ont trouvé chez un des mutants Otp, qu’un petit groupe de neurones jusqu’alors non identifié dans l’hypothalamus du poisson zèbre produisait une quantité accrue d’ocytocine. Lorsqu’ils ont identifié et détruit ces cellules particulières avec un laser, ce qui est rendu possible par la transparence de la peau du poisson, le poisson se comportait de la même manière asociale que les mutants. Des recherches plus approfondies ont révélé que ces neurones spécifiques contrôlaient la production de deux hormones différentes – l’ocytocine et la corticolibérine (ou CRH), une hormone impliquée notamment dans la réponse à l’anxiété et au stress. Le Professeur Levkowitz explique que ces neurones pourraient être un commutateur entre l’état de stress et l’état social, ou qu’ils pourraient contrôler les deux états à la fois, en régulant leurs niveaux relatifs.

Dans l’étape suivante, Einav Wircer a développé une méthode génétique de marquage des neurones avec une protéine de fluorescence rouge pour identifier ces cellules individuelles nouvellement découvertes dans le réseau dense d’extensions de neurones producteurs d’ocytocine, ces derniers étant marqués à l’aide d’une protéine de fluorescence verte. Elle a alors répété l’expérience sur plusieurs douzaines de cellules nerveuses. Les images, chacune montrant une cellule rouge parmi le réseau de neurones verts, révélaient des cellules avec des extensions à plusieurs branches et touffues – arbres dendritiques –à une extrémité et une longue extension unique, comme un cheveu, à l’autre – axones. Ceci, affirme Gil Levkowitz est typique des neurones qui recueillent des données sensorielles et les convertissent en un signal relayé dans le corps. Certains des axones – les extensions qui conduisent le signal –  vont jusqu’au bout de la queue du poisson, ce qui suggère que les données sensorielles sont converties en impulsions de nage.

« Notre hypothalamus se développe presque exactement de la même manière que celui du poisson zèbre » explique Gil Levkowitz « et nous avons certainement les mêmes neurones « commutateurs ». Cependant dans le cerveau humain, et plus particulièrement dans l’hypothalamus, qui contrôle beaucoup de fonctions différentes, il serait presque impossible de les localiser. Pour le poisson zèbre, nous commençons à comprendre comment le développement induit de futurs schémas de comportement et comment une protéine spécifique dirige ce processus. Cela pourrait nous aider, à l’avenir, à comprendre comment les troubles et maladies du développement neurologique se développent et progressent à l’âge adulte.

 Les recherches du Professeur Gil Levkowitz sont subventionnées par la fondation Adelis ; et par Howard et Cindy Garroon, Winnetka, Illinois. Le Professeur Levkowitz est le titulaire de la chaire professorale Élias Sourasky.



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